Delphinium

Bandalbanji - Romance Contemporaine

Min Suah, poursuivie par la malchance, échappe toujours de peu à la mort. Éreintée, elle choisit de travailler dans une maison de retraite où la présence des résidents la réconforte. Un jour, un homme sévère la sauve d'un accident et … plus


43 Épisodes

Prologue

 

Ne laisse aucune trace derrière toi. Je saurai les déchiffrer.

Je ne pourrai pas m’empêcher de te chercher, compagne, donc par pitié…

Fais en sorte que je ne puisse pas te trouver.

 

 

 

 

“Oui, je vous ai envoyé un mail. Pas de problème, j'avais autre chose à régler et je m'apprête seulement à partir.”

 

Une fois qu'elle eut raccroché le combiné, Suah prit une grande inspiration et parcourut l'open-space du regard. Une heure après la sortie des bureaux, il ne restait que quelques personnes.

 

Tout en mettant de l'ordre dans ses affaires, elle baissa les yeux sur son chemisier. Trente minutes plus tôt, un homme l'avait bousculée dans le couloir et aspergée de café. Il lui avait tendu sa carte de visite, promettant de lui rembourser les frais de pressing, mais comprenant qu'il était l'invité d'un des cadres de l'entreprise, elle avait décliné son offre.

 

[Fondation HH]

 

Suah rangea la carte dans un des tiroirs de son bureau et se leva. Elle mourait de faim et était déjà en retard pour rejoindre sa mère. Elle avait tout de même réussi à clore une commande urgente et se consolait en songeant que cela lui ferait gagner des points auprès de sa hiérarchie.

 

Par chance, l'ascenseur l'attendait dans le couloir. Mais alors qu'elle s'apprêtait à s'y engouffrer, elle recula précipitamment en voyant le panneau “Inspection en cours”.

 

Il s'en était fallu de peu ! Quelle idée de laisser les portes ouvertes !

 

Le cœur battant à tout rompre, elle prit la direction des escaliers de secours dont elle descendit les marches lentement. La prudence était de mise. La poisse lui collait à la peau, ces temps-ci.

 

On lui avait déjà renversé du café dessus aujourd'hui, mais il lui fallait encore se méfier des voitures sur le chemin du retour, éviter l'électrocution ou les risques d'incendie… Le bâtiment était-il robuste ? Il était récent, mais après sa mésaventure avec l'ascenseur, elle était inquiète.

 

Les incidents plus ou moins graves qui s'étaient enchaînés ces dernières semaines l'avaient rendue plus vigilante que jamais ; elle était constamment sur ses gardes. Jusque-là, elle avait vécu une existence ordinaire. Mis à part le décès prématuré de son père, un homme attentionné, elle n'avait connu aucune difficulté particulière. Elle avait travaillé dur à l'école, intégré une bonne université et décroché un emploi dans une grande entreprise où elle avait rapidement été promue. Elle prévoyait depuis longtemps de partir en voyage à l'étranger l'année prochaine.

 

Suah avait cru qu'un avenir simple mais heureux l'attendait, qu'elle fonderait une famille avec laquelle elle vieillirait sereinement, entourée de gens bienveillants.

 

Pourtant, depuis quelques mois, sa vie ne tenait qu'à un fil.

 

Une moto avait manqué de la renverser. Elle avait glissé dans l'escalier, failli chuter sur les rails du métro et un pot de fleurs tombé d'un balcon s'était presque écrasé sur son crâne.

 

Elle avait d'abord cru à une série de coïncidences malencontreuses, mais la malchance continuait de bouleverser son quotidien. Lors d'une collision entre son bus et un camion, une ligne électrique avait été sectionnée et failli l'électrocuter. La semaine précédente, les journaux avaient rapporté le crash d'un avion, dû à une défaillance mécanique, à bord duquel elle aurait dû se trouver si son voyage d'affaire n'avait pas été annulé.   

 

Elle avait frôlé la mort à plusieurs reprises, au point de s'estimer chanceuse d'être indemne et en bonne santé.

 

“Mais je vais finir par mourir d'épuisement à force d'essayer de survivre…”

 

Suah avait vingt-trois étages à descendre. Elle avait le souffle court et les jambes endolories. Mais elle devait se concentrer pour arriver en bas de ces escaliers exigus en un seul morceau.

 

Une fois dehors, elle examina la rue.

 

Et la peur la submergea.

 

Quelle était la probabilité qu'elle se fasse renverser par une voiture en voulant prendre le bus ? Elle s'imaginait tant de façons de mourir qu'elle se sentait incapable de faire un pas en avant.

 

Pour une femme dans la force de l'âge, la mort n'aurait dû être qu'un horizon lointain. Pourtant, elle déferlait régulièrement à ses pieds, comme une vague. Elle avait peur. Elle était terrifiée. S'il s'était agi d'un danger bien spécifique, elle aurait pu s'en protéger. Mais face à cette malchance imprévisible, elle ne savait pas comment se défendre. Elle aurait voulu être chez elle, en sécurité.

 

Quoique son appartement n'était pas un lieu sûr. La semaine passée, un incendie s'était déclaré dans sa chambre à cause d'un court-circuit. Elle dormait désormais sous une tente déployée dans son salon.

 

Non, Suah ne s'était pas décarcassée dans ses études et au travail pour vivre comme ça. Elle secoua la tête, poings et dents serrés, tentant d'évacuer la peur à laquelle elle s'était habituée. Rien ne la frustrait davantage que de ne rien pouvoir faire.

 

Tout le monde meurt un jour. Elle devait profiter de l'instant présent, ne pas baisser les bras en espérant être heureuse plus tard. Elle l'avait compris à la mort de son père.

 

“Bon, allons voir maman. Ensuite, je trouverai une copine avec qui boire un verre autour d'une assiette de poulet frit. Et puis…”

“Mademoiselle Min, vous rentrez ?”

“Quoi ? Ah !”

 

Suah, qui était en train de marmonner tout bas, fit volteface en entendant son nom. C'était M. Kim, le manager adjoint de l'équipe 2 de planification, accompagné de ses collègues.

 

“Pardon si je vous ai fait peur ! On va dîner tous ensemble, vous voulez vous joindre à nous ?”

 

Suah ramena ses cheveux en arrière comme si de rien n'était et lui sourit d'un air faussement déçu :   

 

“Malheureusement, j'ai déjà quelque chose de prévu. Pour me faire pardonner, j'offre le déjeuner à votre équipe demain midi. Je veux vous remercier de votre travail sur notre projet en commun.”

“Justement, notre chef voulait vous voir à ce propos. Il trouve que vous travaillez trop dur. Enfin, à demain !”

 

Suah salua le groupe, mais alors qu'elle se dirigeait vers son arrêt de bus, elle s'arrêta. Elle aurait dû mentionner le mail de tout à l'heure. Elle regardait le manager adjoint s'éloigner, hésitant à le rattraper, lorsqu'un homme de grande taille apparut soudainement devant elle.

 

“Mon dieu !”

 

Sous le coup de la surprise, Suah s'écarta précipitamment, manquant de tomber à la renverse. Son sac lui glissa des mains.

 

L'homme sorti de nulle part se tint immobile devant elle, jusqu'à ce qu'elle se baisse pour ramasser ses affaires. Malgré son physique séduisant, elle le trouvait grossier et le regard qu'il posait sur elle lui picotait étrangement la peau.

 

Pourquoi la dévisageait-il ? Qu'il se pousse ou qu'il s'excuse ! Oh…

 

Sur le point de se redresser, Suah s'immobilisa en voyant des gouttes rouge foncé s'écraser sur le sol. Elles perlaient du bout des longs doigts pâles de l'inconnu. En y regardant de plus près, Suah s'aperçut qu'une tache écarlate imbibait la manche de sa chemise blanche.

 

Était-il blessé ?

 

Alors qu'elle levait les yeux vers lui, le monde s'assombrit, comme voilé par d'épais nuages gris. Quelque chose d'énorme tombait du ciel, droit sur leurs têtes.

 

“Attention !” s'exclama Suah en tirant l'homme derrière elle.

 

Un fracas à s'en déchirer les tympans retentit et le sol trembla. Un tourbillon de poussière et de débris vint fouetter le visage de Suah. L'onde de choc l'avait propulsée par terre. Elle se releva pour regarder devant elle.

 

La scène qui s'offrait à ses yeux était une vision d'enfer. Elle entendait hurler de tous les côtés.

 

“Quelle horreur… ”

 

La rue ne ressemblait plus en rien à celle dans laquelle elle s'était trouvée un instant auparavant. Un immense panneau publicitaire gisait au milieu du trottoir. On apercevait des silhouettes coincées en-dessous. Tout autour, des gens blessés par les éclats de métal saignaient en gémissant. Un cri strident retentit dans l'air :

 

“À l'aide !”

 

Suah tremblait de tous ses membres. Elle devait faire quelque chose, mais elle se sentait terriblement impuissante.

 

“Au secours… Aidez-moi !”

 

Sa tête résonnait de sa propre terreur. Elle était incapable d'assister à ce spectacle effroyable, encore moins de secourir les victimes.

Quand ce cauchemar allait-il se terminer ?

 

Faites que ça s'arrête. Faites que ça s'arrête. Suah ferma les yeux et pria de toutes ses forces à qui voudrait bien l'entendre.

 

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