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Birdy Li - Romance Contemporaine

Marcia tente de recoller les morceaux de sa vie après une relation destructrice qui a brisé ses rêves de danseuse. Entre petits boulots et cours pour enfants, elle avance tant bien que mal… jusqu’à ce que son passé la rattrape. … plus


20 Épisodes

Épisode 1

 

J’ai l’impression d’être dans un rêve, ou plutôt un cauchemar. Pourtant, tout ça est bien réel. Je le sens dans la brûlure qui traverse mon corps : mes poumons, mes mollets, mes cuisses. Mes muscles ne sont pas habitués à ce type d’effort.

 

J’ai toujours détesté courir.

 

Mais aujourd’hui, c’est différent. Je cours parce qu’il m’a retrouvée. Je cours pour ne pas le laisser me briser un peu plus. Je cours pour vivre. 

 

Labour de Paris Paloma tourne en boucle dans ma tête. La mélodie fait taire la petite voix qui me dit que c’est bientôt la fin pour moi. Elle me permet de courir plus vite que je m’en serais crue capable.

 

Je ne veux pas savoir s’il me rattrape. Je ne veux même pas savoir si j’ai réussi à le semer.

 

Je veux vivre, c’est tout.

 

“Aidez-moi !”

 

Je hurle. J’essaie d’attirer l’attention des quelques passants dans la rue, des gens que je bouscule, des fumeurs en terrasse qui me dévisagent.

 

Personne ne réagit. Les gens sont préoccupés par leurs achats de Noël, leur journée de boulot ou leurs vacances qui approchent. Ils me jugent, me critiquent, m’évitent. J’aimerais être en colère contre leur inertie. Si seulement j’en avais l’énergie. 

 

Je sais que je leur fais peur. Dans leur cas, j’aurais peur aussi, en voyant une femme si peu vêtue pour la saison courir dans les rues de Paris en chaussons de danse.

 

Je n’avais pas d’autre choix.

 

Si tu étais restée, tu serais certainement déjà morte.

 

Une part de moi est déjà morte de ses mains il y a quinze mois. Je ne lui donnerai pas l’opportunité de m’ôter quoi que ce soit de plus ! 

 

En passant devant une nouvelle terrasse de café, je réitère :

 

“Au secours ! S’il vous plaît !”

 

Ma voix s’enraye. Le zip de mon sweat-shirt trop grand fouette ma cuisse nue. J’ai mal aux pieds. Mon cœur va exploser.

 

Plus j’avance, plus les rues sont désertes. Bientôt, plus personne ne pourra me venir en aide. Il n’y aura plus de témoins. Je ne peux pas continuer à courir ainsi, mes jambes finiront par céder.  J’ai beau être énergisée par ce besoin de fuir, il me rattrapera, c’est sûr.

 

Je perds des forces, seulement je sens son ombre menaçante derrière moi. Je ne peux pas m’arrêter. Je ne dois pas m’arrêter. 

 

Dans un dernier espoir, je dérape sur le trottoir, entre deux bistrots. Le sol me lamine la voûte plantaire à travers mes chaussons. Je ne m’attarde pas sur la douleur et m’élance dans le passage de la Galerie Vivienne. Avec un peu de chance, il ne m’aura pas vu tourner. Au pire, je me réfugierai à l’intérieur d’une boutique. Si je prends réellement le temps de m’expliquer, peut-être que quelqu’un me viendra en aide.

 

Mon épaule percute violemment un passant sortant de la galerie. Le choc ébranle tout mon corps et manque de me faire perdre l’équilibre. Les mains de l’homme me retiennent en se posant sur mes épaules. 

 

“Wow, wow, wow… Vous allez bien ?”

 

Enfin…

 

“Non, je…”

 

Je le supplie du regard, incapable de finir ma phrase sans avoir repris mon souffle. Il me tient à bout de bras, tandis que ses yeux me scrutent de haut en bas. Mon regard est rivé vers la rue à ma droite. Est-ce que j’ai le temps de m’expliquer ou vaut-il mieux que je continue de fuir ?

 

“Aidez-moi, s’il vous plaît.”

 

Mes jambes se tétanisent, je m’agrippe à ses avant-bras. Il plisse les yeux, cherchant certainement à faire le tri dans toutes les questions qu’il a à me poser. Sa bouche s’ouvre. Je suis pendue à ses lèvres, mais je sens une présence dans mon dos. Mon corps réagit aussitôt, je me tends et j’écarquille les yeux. 

 

C’est trop tard. Ghislain est là…

 

Contre toute attente, l’homme face à moi s’empresse de me faire passer derrière lui, sans me lâcher. Je me recroqueville derrière ce rempart, fuyant le nouveau venu qui se dresse devant nous. D’une voix calme, l’inconnu lui demande :

 

“Je peux vous aider ?”

 

Ghislain joue les sourdes oreilles et se penche dans ma direction. J’ai beau fixer le sol, je vois sa silhouette du coin de l’œil. 

 

“Marcia, rentre avec moi.”

 

Il ne hausse pas le ton, mais il est direct, froid et ne laisse pas de place à la discussion. Je secoue quand même la tête, profitant de la sécurité que m’offre le corps massif faisant barrage. Ce dernier répond à ma place :

 

“Elle n’en a pas envie.”

“Mêle-toi de ce qui te regarde !”

 

Je sursaute sous l’agressivité brusque de sa voix, alors qu’il insiste :

 

“Marcia, viens avec moi.”

 

Ghislain appuie sur chacun de ses mots. Il fait un pas sur le côté et tend la main pour attraper mon poignet. J’esquive, ses doigts frôlent ma peau, juste avant que l’inconnu revienne se mettre entre nous en bombant le torse. Il lui tient tête :

 

“Elle n’ira nulle part avec vous.

 

Sa politesse dénote avec la familiarité qu’utilise Ghislain. Une force tranquille se dégage de lui. Peut-être que dans mon malheur, j’ai eu de la chance.

 

“Je venais justement la chercher.”

 

Surprise par ce mensonge, bien que reconnaissante, je trouve enfin le courage de relever la tête pour regarder les deux hommes.

 

Ghislain est légèrement plus grand que l’inconnu et pourtant beaucoup moins intimidant. Leurs physiques sont en totale opposition. Ghislain est mince, brun, barbu et arbore un ensemble de jogging. L’autre homme est baraqué, blond et porte un long manteau lui donnant une allure impériale.

 

La tension entre eux est palpable.

 

“T’es qui, toi ?”

 

En prononçant cette phrase, Ghislain se rapproche un peu et cherche à intimider mon sauveur. Presque front contre front, celui-ci ne se démonte pas :

 

“Son petit-ami.”

 

Mon corps tout entier se tend. La peur revient par vagues. Une ombre passe sur le visage de Ghislain, amenant un sourire sombre sur ses lèvres.

 

Il fait un pas en arrière. Mon souffle se coupe. Ses yeux orageux détaillent lentement l’inconnu de haut en bas. Mes mains se mettent à trembler.

 

Un rire moqueur lui échappe alors que son attention malsaine se pose sur moi. Mon estomac se noue. Je tente de relever le menton pour ne pas perdre la face. Je ne lui donnerai pas cette satisfaction.

 

“Tu n’as même pas attendu un an avant de me remplacer.”

 

Encore un pas en arrière, puis il applaudit théâtralement tout en hochant la tête. Je serre les dents.

 

“La petite princesse Marcia sait rebondir.”

 

Son air me dégoûte. Je soutiens son regard malgré la bile qui remonte le long de ma gorge. 

 

“Fais gaffe, mon pote…”

 

Ghislain revient sur le blond qui ne bouge pas d’un pouce.

 

“Elle finira par te plumer comme elle l’a fait avec moi.”

 

Son audace me fait l’effet d’un coup dans le ventre. Il ose encore salir ma réputation après tout ce qu’il m’a fait endurer et tout ce que j’ai fait pour lui. Ce n’est encore qu’un exemple criant de la personne qu’il est réellement.

 

Fébrile, je reste derrière le blond pour fixer Ghislain qui s’éloigne. Il part à reculons, cet air dédaigneux toujours peint sur son visage.

 

Quelque chose me dit qu’il n’en restera pas là. J’ai eu de la chance de ne pas le revoir pendant près de huit mois. Il a mis du temps avant de me retrouver, mais maintenant la quiétude est terminée. Il reviendra. Je dois m’y préparer.

 

“Vous allez bien ?”

 

L’homme se retourne pour me faire face, tout en ôtant son manteau. Avant même que je ne puisse répondre quoi que ce soit, il me le pose sur les épaules. Ce n’est qu’à ce moment que je réalise que je tremble de froid, simplement vêtue d’un justaucorps, d’un mini-short et d’un sweat-shirt. Gênée, je baisse la tête et acquiesce. 

 

“L’adrénaline est en train de retomber, vous devriez vous asseoir.”

 

Il a raison. Ce n’est pas seulement le froid qui a pris possession de mon corps, c’est aussi la peur. Mes muscles sont pris de spasmes.

 

Pourtant, je secoue la tête.

 

“Ça va aller, merci.”

 

Je n’ose pas lever les yeux vers lui. Sûrement parce qu’il m’intimide, certainement parce que j’ai honte de ce qu’il vient de se passer.

 

“Je suis désolée que vous ayez été mêlé à ça… Mais je vous suis extrêmement reconnaissante d’être intervenu.”

“C’est votre ex-petit-ami ?”

 

Sans un mot, je hoche la tête et resserre les pans du long manteau pour me donner une contenance. 

 

“Permettez-moi de douter de vos goûts en matière d’homme.”

 

Je fronce les sourcils, perplexe face à cette remarque. Je suppose qu’elle se veut humoristique, parce qu’au cas où il en doutait, le moment est mal venu pour une leçon de morale.

 

“Je suis Arthur. Ce serait injuste que je connaisse votre prénom sans que vous ne connaissiez le mien.”

 

Mal à l’aise, je tente un sourire et attrape poliment la main qu’il me tend. Elle est chaude, rassurante, tout comme le sourire qu’il m’adresse. Je reste pourtant sur le qui-vive.

 

“Vous ne voulez pas appeler la police ?”

 

Je secoue vivement la tête et m’empresse d’expliquer d’un ton qui se veut plus calme :

 

“Ça ne sert à rien. L’intimidation n’est malheureusement pas un motif suffisant pour porter plainte.”

“La peur dans vos yeux me laisse croire qu’il n’y a pas eu que de l’intimidation.”

 

Il voit juste, mais je ne peux pas l’admettre. Porter plainte ne ferait qu’empirer les choses. La famille de Ghislain a de l’argent, l’affaire sera vite classée sans suite et moi, je perdrai le peu qu’il me reste.

 

“Excusez-moi, je suis trop intrusif.”

“Non, je comprends  que vous vous posiez des questions, mais…”

 

Il finit la phrase à ma place :

 

“Mais nous ne sommes que des inconnus et votre vie privée ne me regarde pas.”

 

Arthur me sourit de façon bienveillante et je lui en suis d’autant plus reconnaissante.

 

“Je vous raccompagne ?”

 

J’ouvre la bouche, il ne me laisse pas le temps de répondre :

 

“À moins qu’être en compagnie d’un homme vous mette mal à l’aise en ce moment. Si c’est le cas, ma sœur travaille dans la galerie. Vous pouvez rester avec elle jusqu’à ce qu’elle ferme et elle vous raccompagnera.”

 

J’hésite. Il doit le lire sur mon visage, puisqu’il rajoute :

 

“Ou ma sœur peut vous raccompagner et je resterai avec vous par mesure de sécurité. C’est comme si j’accompagnais ma sœur qui vous raccompagne.”

 

Cette fois, son humour m’arrache un sourire. 

 

“C’est très gentil. Vous en avez déjà fait beaucoup, je ne veux pas vous déranger.”

“Puisque je vous le propose.”

 

Arthur ne se départit pas de son sourire amical.

 

Sa proposition me touche sincèrement. Une part de moi aimerait accepter sans réfléchir. L’autre est plus rationnelle et émet des réserves.

 

Je ne connais que le prénom de cet homme et, malgré son air gentil et sa bienveillance, il a peut-être lui aussi une part sombre.

 

Après tout, il l’a lui-même dit : je n’ai pas très bon goût en matière d’homme. Je dirais même que je ne suis pas une très bonne juge.

 

Seulement, à cet instant, c’est Ghislain qui me terrifie… Et l’idée qu’il puisse encore être dans les parages, prêt à profiter du contre-coup, me pousse à accepter qu’Arthur me raccompagne. 
 

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