Jinseo - Fantasy Romance
Elke Everhart a toujours obéi, étouffée par les attentes de son père et de son frère aîné. En lice pour devenir la prochaine Prêtresse du royaume, elle subit sans broncher… jusqu’à ce que sa famille la force à revoir son … plus
Je ne voyais rien dans l’obscurité profonde, absolument rien. Malgré cela, le toucher impur et dérangeant m’était, lui, étonnamment perceptible. Les mains qui effleuraient mon corps étaient dénuées de timidité. Elles s’agitaient sans retenue et prenaient plaisir à caresser ce qui leur était donné, comme si tout leur appartenait. J’eus un bref sentiment d’étouffement à cause du poids qui semblait peser sur tout mon corps.
Toute à mon agitation, je laissais échapper un gémissement de surprise en apercevant le visage d’un homme. Comme si celui-ci avait remarqué ma réaction, un sourire moqueur se dessina sur ses lèvres et son visage froid effleura le mien. Avant même que je ne puisse dire un mot, il se baissa. Au moment où sa tête allait se poser entre mes jambes sauvagement écartées…
Elke Everhart se redressa brusquement dans son lit en poussant un murmure étouffé. Le froid qui envahissait à présent son corps lui rappela que cette folie d’il y avait à peine quelques secondes n’était qu’un rêve. Pourtant, elle pouvait clairement sentir ses jambes et son bas-ventre engourdis. Elke haleta face à cette sensation étrange, si vive qu’elle en devenait irréelle.
C’était déjà la troisième fois qu’elle rêvait d’une chose pareille. Jamais auparavant elle n’avait succombé à des désirs aussi vulgaires, jamais elle n’avait envisagé faire quoi que ce soit avec un homme. Pourtant, à l’instant où elle se souvint de l’homme de son rêve, son visage s’empourpra, envahi par la honte. Elle agrippa avec force les draps de son lit.
Des cheveux noirs en désordre glissant entre ses doigts, des yeux grisés reflétant un brin de malice et de moquerie : c’était définitivement lui.
“Aah…”
Elle inspira profondément pour essayer de calmer les battements effrénés de son cœur. Après avoir réalisé qu’il ne s’agissait en aucun cas de la réalité mais d’un simple rêve absurde, son regard se posa finalement sur le cadre accroché au mur en face. Elke resta figée un instant dans son lit, fixant le visage de la jeune fille sur le portrait. Elle avait l’étrange impression que cette dernière lui souriait, et se mit inconsciemment à murmurer des excuses.
“Après tout, ce n’est pas pire que le rêve où quelqu’un se fait décapiter par la guillotine.”
C’était l’un des songes récurrents d’Elke. En réalité, le mot ‘décapiter’ n’était pas tout-à-fait adéquat car la tête ne finissait jamais tranchée d’un seul coup mais pendillait plutôt de manière atroce. Après tant de fois identiques, certains rêves auraient pu varier et montrer une gorge tranchée de manière nette et impeccable. Mais ces derniers ne changeaient jamais. De plus, ils dépeignaient les moindres détails du cou guillotiné, ce qui les rendait aussi répugnants qu’effrayants.
Dans un moment d’illusion, Elke crut voir la jeune fille du portrait pencher la tête.
“Je savais que tu étais trop faible. Je rêve presque chaque nuit de la tête de ce type en lambeaux, mais au moins moi, je suis en vie” ajouta-t-elle d’une voix ronchonne.
Les yeux verts du portrait clignèrent, comme pour lui répondre.
Mais Elke, à la place, tu es devenue folle.
Elke crut entendre la voix enfantine de sa sœur. Elle n’aurait pu imaginer une voix adulte puisque celle-ci était morte avant même d’en être devenue une.
“C’est toi qui étais folle, pas moi” rétorqua Elke.
Eh bien, Elke, je te l’ai toujours dit, mais parler au portrait d’une défunte n’est pas un comportement très normal.
Elke ricana aux paroles de sa sœur, ou plutôt à ce qu’elle imagina être ses mots. Le plus anormal et absurde, c’était surtout de faire ce genre de rêves. Laisser un homme qu’elle avait à peine vu et connaissait tout juste jouer avec son corps…
Elke songea à nouveau.
Oui, comme le rêve de la guillotine. Tout semblait si réel et précis.
Les sensations qu’elle avait ressenties sous les caresses de cet homme n’avaient rien d’un rêve. Son corps s’en rappelait encore…
Tu vas avoir de gros ennuis si père et grand frère l’apprennent. D’autant plus que ce n’est pas n’importe quel homme avec qui tu rêves de faire des cochonneries.
Alors qu’elle se remémorait sa nuit torride avec lui, Elke sursauta à l’entente du portrait et secoua la tête.
Pour père, cet homme est probablement plus ignoble qu’une tête à moitié décapitée.
La voix de Yulike était étonnamment mature pour une enfant, son langage plus sophistiqué que celui d’une fillette de treize ans. Il ne s’agissait pas là de Yulike mais de l’imaginaire d’Elke, âgée de vingt et un ans.
“Tais-toi” murmura-t-elle sans savoir à qui elle s’adressait vraiment, avant de se rallonger sur son lit.
‘Cet homme’ n’était pas n’importe qui. Il était celui que son père et son frère détestaient le plus au monde. Ils haïssaient tout de lui : son origine, son caractère, même ses compétences. Rêver de s’amuser sous la couette avec un homme pareil était donc sale et vulgaire. Et pourtant, une partie d’elle s’interrogeait sur ce qui aurait pu se passer après.
“Tu es complétement folle” s’autoflagella Elke.
Prise dans le flot de cette imagination sincère et sans filtre, elle ferma lentement les yeux et se donna quelques petites tapes sur la joue. Avoir de telles pensées sans même en ressentir une once de honte était le signe évident de sa fatigue. C’était la seule raison plausible.
“Allez, reprends-toi.”
Comme tous les matins, elle devrait inlassablement redevenir la parfaite petite Elke Everhart, cette jeune femme sans la moindre faille que son père et son frère étaient si fiers de montrer.
Or quand elle ferma les yeux pour se rendormir, elle espéra que ce ne soit non pas la guillotine, mais cet homme qui apparaisse à nouveau dans son rêve. Elke fit de son mieux pour se débarrasser de cette envie. Pour la première fois depuis longtemps, elle pria :
D’accord, je vais faire un compromis. Faîtes que je ne rêve ni de la guillotine ni de cet homme ni de rien d’autre.
Après avoir prié un Dieu en qui elle ne croyait pas, Elke se rendormit.
***
Cet homme, Reiner Michel, était revenu au royaume de Brandt après cinq ans d’absence. Il était resté beaucoup de temps à l’étranger en tant qu’ambassadeur, ce pourquoi Elke n’avait jamais eu l’occasion de le voir en personne.
Elle ne le méconnaissait pas pour autant. L’homme était célèbre à bien des égards et, depuis un certain temps, était devenu un sujet de conversation fréquent au sein de la famille Everhart. Les informations dont elle disposait sur lui provenaient en grande partie de son frère Bjorn, de son père, le duc Ulrich Everhart, ou encore des journaux.
Il s’avérait par exemple que Reiner Michel, du même âge que son frère, venait d’une famille ordinaire dont le père était usurier et la mère issue d’une ancienne lignée noble ruinée. Pourtant, il avait été le rival de Bjorn dans les écoles royales et militaires, se disputant sans cesse la première et la deuxième place. Il était aussi connu pour se servir de son visage comme une arme, multipliant les aventures amoureuses avec les femmes.
Le duc et Bjorn reprochaient à Reiner d’être un ‘satané usurier’ comme son père, amassant de l’argent de manière immorale. Non seulement opérait-il le prêt d’argent, interdit par la Sainte Bible, mais aussi avait-il accumulé sa richesse malgré des faillites successives et le décès de son père. Qui savait jusqu’où était-il allé pour obtenir cette fortune ? Cette richesse avait probablement aidé de bien des manières le comte Olden, nouveau mari de sa mère, puisque nul n’ignorait que la famille du comte prospérait depuis son remariage.
Bien que le duc Everhart reconnût la bonté du comte Olden, lequel avait pris Reiner Michel sous son aile en lui offrant la meilleure éducation possible, il désapprouvait fortement le fait de ne pas avoir incité ce misérable Reiner à se repentir avant de partager cette fortune.
Grâce à sa richesse et à l’inébranlable faveur du roi, la plupart de ceux qui méprisaient autrefois Reiner semblaient désormais le traiter avec respect. Cependant, les Everhart le considéraient toujours comme vulgaire. Et malgré tout ce qu’il possédait, l’homme n’était jamais parvenu à accéder pleinement au centre du pouvoir. Il était d’ailleurs difficile de déterminer si cet échec était dû à son absence prolongée ou à l’influence de la famille Everhart.
La dernière fois qu’Elke avait entendu son frère parler de Reiner, c’était il y a cinq ans. À l’époque, après avoir surpassé Bjorn en devenant major de promotion à l’académie militaire, Reiner s’était envolé pour la République de Nutavia à l’issue de ses un an de service militaire. L’ego de son frère, blessé par sa défaite à l’examen de fin d’année, sembla se consoler lorsque Reiner quitta le royaume de Brandt et que le roi Albrecht V désigna Bjorn comme son secrétaire. Mais cet apaisement fut temporaire puisqu’il apprit que le roi avait d’abord proposé ce poste à Reiner, lequel avait refusé avant de partir à l’étranger, laissant ainsi sa place à Bjorn.
C’était en partie grâce à l’absence de son rival que Bjorn ne s’était pas effondré sous le poids de la honte et de la colère à cette époque. Elke supposait que son frère, destiné à être le duc Everhart et le comte de Kalden depuis sa naissance, détestait l’idée de devoir rivaliser avec un prolétaire, un homme sans titre ni dignité.
C’était lui, cet homme que son père et son frère méprisaient tant. Elke n’aurait jamais imaginé le rencontrer dans un lieu aussi inattendu que le temple de Hildeth, lui qu’elle ne connaissait qu’à travers les autres. Célèbre athée, il maudissait l’Église, ce qui avait rendu sa présence dans un temple d’autant plus surprenante.
Elke quittait l’église pour prendre l’air après avoir eu des nausées pendant la messe, lorsqu’elle avait croisé Reiner pour la première fois sur le chemin du retour.
“Ah, Mademoiselle Everhart. Ce n’est pas ce que vous croyez…”
Contrairement à la jeune femme sur ses genoux qui avait aussitôt blêmi et réajusté les plis de sa robe en croisant Elke, l’homme avait paru complètement détendu. Elke s’était alors demandée si ce dernier serait resté aussi impassible face à un prêtre.
Bien que le lieu de cette rencontre fût inattendu, d’après ce qu’elle avait entendu dire sur Reiner, il était assez typique de sa part de se faire prendre dans une situation pareille. Elke avait regardé l’homme appuyé contre le mur. Et alors qu’elle ne l’avait jamais vu en personne, elle fut certaine qu’il s’agissait bien de lui.