Eun Ragyeom - Fantasy Romance
Réincarnée une énième fois dans le même roman, Clarita, orpheline, est à nouveau désignée héritière de la fortune du duc Agrest, au détriment de son fils Rickaël. Connaissant son histoire, puisque ce dernier était son personnage favori, elle veut le … plus
“Nous allons maintenant procéder à la lecture du testament.”
Dès que l’avocat ouvrit la bouche, on entendit un ange passer dans le salon jusque-là bruyant. Je triturais le bout de mes gants, me préparant pour le remue-ménage qui allait suivre. Je connaissais déjà toute l’issue, mais je ne pouvais m’empêcher d’être nerveuse malgré tout. Je pris une profonde inspiration et me redressai.
L’avocat lut alors les dernières volontés du duc Fesvender Agrest :
“Je lègue mon château, ma fortune ainsi que la totalité des rentes futures destinées à la famille Agrest…”
Il interrompit sa lecture. Ceux qui avaient les yeux rivés sur lui ne purent dissimuler leur nervosité et se levèrent brusquement de leur siège.
“Tout ça ?”
“Qu’entendez-vous par “totalité” ?”
“Lisez jusqu’au bout, allez !”
L’avocat déglutit et reprit d’une voix solennelle :
“À mademoiselle Clarita Sobel.”
Je portai mes mains à ma bouche, un air étonné sur le visage. Ma réaction était peut-être sensiblement trop exagérée. Avais-je bien eu l’air surprise au bon moment ?
Tout en réfléchissant à mon jeu d’actrice, j’observais les réactions tout autour de moi. Mais les membres de la famille Agrest semblaient encore loin d’avoir saisi la situation.
“Clarita Sobel ? Mais qui est-ce ?”
“C’est complètement absurde !”
Un homme, visiblement nerveux depuis son entrée au château, arracha le testament des mains de l’avocat :
“Notre cher excentrique a apparemment décidé de nous jouer un dernier tour.”
Il éclata d’un rire amer et pointa du doigt l’avocat :
“Tout le monde sait qu’il n’était pas dans son état normal.”
Il serait bon de préciser que l’on connaissait le duc Fesvender Agrest pour son caractère excentrique et ses passe-temps singuliers, si bien que sa mort suscitait encore de nombreux ragots.
“Vous allez trop loin” murmura quelqu’un.
Mais l’homme ne s’arrêta pas là :
“On ne sait même pas s’il est vraiment mort !”
Effectivement, le décès du duc semblait entouré de mystère. Fesvender Agrest avait disparu lors de son ascension du mont Rhodos. On n’avait jamais retrouvé son corps, mais son assistant et ses soldats avaient découvert l’équipement du duc ainsi que ce qui paraissait être les restes d’un corps.
“Regardez… Un morceau de vêtement déchiré” avaient-ils dit. “Il a dû être attaqué par une bête sauvage.”
Peu de temps après, les avocats de la famille Agrest étaient entrés en action. On avait officiellement déclaré le trépas du duc et le testament avait été rendu public. Mais les gens ne croyaient guère à cette histoire. Certains pensaient qu’il vivait toujours quelque part. D’autres affirmaient qu’il s’était donné la mort loin de chez lui, ou qu’il avait commencé une nouvelle vie sous une fausse identité.
“Vous êtes bien avocat, non ? Vous devriez transmettre ses dernières volontés comme il l’entendait !”
Cet homme dédaigneux était un lointain cousin du duc. J’ignorais son nom, mais je savais qu’il était connu pour sa réputation de débauché.
“Clarita qui ?”
Il éclata de rire en lisant le document. Il retrouva cependant bien vite un air glacial.
“Quoi ? C’est tout ?”
“J’ai exécuté la volonté du duc à la lettre” répondit l’avocat en reprenant le testament de la main de l’homme avant de le replier soigneusement et de se tourner vers moi.
“Mademoiselle Sobel, il nous reste encore quelques formalités à régler.”
“Bien sûr” répondis-je.
“Nous pourrons finaliser tout ceci prochainement dans mon bureau.”
“Entendu.”
À peine avais-je parlé qu’une voix s’éleva.
“Je refuse d’accepter ça !”
“Mais enfin, qui est cette femme ?”
“C’est incroyable ! Il ne nous a vraiment rien laissé ?”
Je jetai un regard à la pendule accrochée au mur du salon.
Hm, il ne devrait plus tarder maintenant.
“Mon rôle ici est terminé.”
Habitué à ce genre de remue-ménage, l’avocat se tenait sur le point d’attraper son manteau et de se diriger vers la porte, lorsque celle-ci s’ouvrit dans un claquement brusque.
Tous les murmures et soupirs se tarirent à l’arrivée de l’homme qui venait d’entrer. Son regard à la fois noble et glacial balaya la pièce à travers ses cheveux noir de jais. Il repoussa les quelques mèches tombant sur son visage et releva la tête.
“Que faites-vous tous réunis ici sans moi, l’héritier du duc Agrest ?”
L’avocat se leva de son siège, visiblement embarrassé.
“Votre Grâce, il me semblait vous avoir déjà mis au courant…”
“Ce testament n’a aucune valeur” rétorqua l’homme.
Quelle ordure. On parle quand même des dernières volontés de son père.
Je le fixai, respirant lentement. Mais lui ne m’accorda pas même un regard, préférant arracher le document des mains de l’avocat, qui prit un air désolé :
“Votre Grâce, vous n’avez pas le droit de faire cela.”
“Qui est cette Clarita Sobel ?”
Lorsque je levai doucement la main, il me dévisagea en fronçant les sourcils.
“Ne me faites pas croire que c’est cette fille qui a séduit mon père !”
Je comprends qu’il soit en colère : son père vient de disparaître, et voilà qu’il risque de perdre tout son héritage. Mais ce n’est pas une raison pour parler de moi ainsi.
“Vous dépassez les bornes. Séduire, vraiment ?” rétorquai-je.
“Que lui avez-vous donc fait, alors ? Vous l’avez envoûté, c’est ça ?”
“Navrée, mais comme vous le voyez, je n’ai pas de baguette magique sur moi.”
Il laissa échapper un ricanement.
“C’est donc ça qui plaisait à mon père ? Voilà qui est lamentable.”
“Vous me devez des excuses pour vos propos insultants.”
“Des excuses ?”
“Je n’ai jamais rencontré le duc si vous voulez tout savoir.”
“Quoi ?”
“C’est maître Pittman ici présent qui est venu me trouver et qui m’a amenée au château.”
L’homme se tourna lentement vers l’avocat, incrédule.
“En effet, je suis allé chercher mademoiselle Sobel jusque dans un couvent.”
L’héritier du duc secoua la tête d’un air dubitatif :
“Mais ce testament n’a aucun sens.”
Il sortit nerveusement une enveloppe de sa poche.
“Ce château n’est pas une simple demeure.”
“Ce qu’il dit est vrai. Ce château est le pilier des Agrest depuis des milliers d’années” marmonna alors un homme d’âge mûr qui fixait le fils du duc, la nuque tordue. “Mais… es-tu seulement digne de prononcer ces mots, Rickaël ?”
Naturellement, ce dernier ne se laissa pas faire.
“Mon père m’avait promis qu’il me le léguerait.”
Bien sûr, ce château appartenait au duc Agrest, et il paraissait logique que son fils en hérite. Mais c’était hors de question. Je fis un pas en avant.
“Non, je ne renoncerai pas à ce château” déclarai-je d’un ton ferme.
“Et comment comptez-vous vous y prendre, alors ?”
“Nous réglerons cela par la loi. Après tout, elle est de mon côté.”
J’arrachai le testament des mains de l’avocat et le dépliai sous les yeux de Rickaël.
“C’est écrit juste ici. À mademoiselle Clarita Sobel. Il y a même le sceau du duc à côté.”
Il laissa échapper un rire incrédule.
“Vous êtes folle, ma parole.”
“Pourriez-vous tous quitter les lieux maintenant ? Vous êtes chez moi, voyez-vous.”
Mais Rickaël n’était pas du genre à céder. Il s’approcha de moi jusqu’à ce que nos nez se frôlent.
“Hors de question. C’est ma maison.”
Le bout de mon nez frémit à son contact, mais je ne reculai pas.
“Ah oui ? Vous voulez jouer à ça ?”
“Pourquoi ne pas partir gentiment avant de finir en larmes ?”
J’avais mes raisons pour accepter ce château de la part d’un duc que je ne connaissais pas. Ce n’était ni par soif de richesse ni par cupidité. C’était pour le bien de l’homme le plus malheureux du monde. Celui qui venait de voir son héritage lui échapper : Rickaël Agrest.
“Nous verrons bien qui quittera les lieux en pleurant.”
J’avais beau me montrer dure avec lui, cet homme me faisait mal au cœur. Car Rickaël Agrest était un homme malheureux. Il avait été adopté très jeune par la famille Agrest, mais la duchesse l’avait toujours haï et malmené.
“Rickaël, reste loin de moi ! Rien que t’entendre respirer me sort par les oreilles !” lui disait-elle.
Le duc Agrest était un homme compétent, mais il n’avait jamais été un très bon père. Resté attaché à son premier amour, il s’entendait mal avec sa femme et négligeait son fils. Il s’agissait d’un père excentrique et pervers au point qu’il léguait toute sa fortune à une inconnue : cette Clarita Sobel, que Rickaël observait avec une rage assassine.
Mais son malheur ne s’arrêtait pas là.
Je suis sûre que l’auteur ne l’aimait pas.
Comme vous l’aurez sans doute deviné, Rickaël Agrest est un personnage du roman Tayron. Bien qu’il soit d’une beauté à couper le souffle avec ses cheveux noirs aux reflets bleutés et ses yeux bleus emprunts de mélancolie, il y est décrit comme un homme cynique et imprévisible.
Dans le roman, bien que Rickaël parvienne à récupérer le château tant convoité, le bonheur ne l’y attend pas. Au contraire, il y trouvera la mort.