Eyes Shining on the Moon

Pensho - Boys Love

Yeongyo est au service de son jeune maître Samagang depuis leur enfance, et ses sentiments pour lui ont grandi jusqu’à devenir de l’amour. Parti pour l’armée, Samagang revient enfin quelques années après dans la maison familiale. Malheureusement, il est accompagné … plus


54 Épisodes

Épisode 1

 

Yeongyo fixait l’horizon d’un œil vague. À l’est, un mince croissant flottait sur fond de ciel ardoise. Il allait se noyer dans une obscurité semblable aux fonds fluviaux. Avant que celle-ci ne recule au retour de l’astre laiteux, faisant écho au soleil levant qui clôturait l’année.

 

Une autre pleine lune était là. Yeongyo contemplait ce spectacle pour la treizième fois. Il était orphelin. Le seigneur Taewi l’avait trouvé évanoui près d’un fleuve de la zone frontalière. La rencontre eut lieu pendant une aube d’avril, en pleine floraison des forsythias.

 

Le jeune homme ne connaissait ni son nom, ni son âge. L’identité des parents et le lieu de naissance demeuraient aussi un mystère. Pris de pitié, Taewi l’amena chez lui et l’appela Yeongyo (連翹), en souvenir de l’arbuste à fleurs.

 

L’orphelin devint d’abord le valet de Samagang, l’héritier du clan. Mais Taewi s’aperçut des aptitudes intellectuelles du petit et confia sa formation à l’intendant en chef.

 

Le nouveau venu jouissait maintenant d’un statut à part en dépit de ses modestes origines. Ce privilège lui attirait la jalousie et la méchanceté des autres domestiques mais il n’en avait cure.

 

Yeongyo ne demandait qu’à servir son bienfaiteur. Sans oublier qu’il était amoureux de Samagang.

 

Et tant pis si ses sentiments devaient rester secrets.

 

“Le jeune maître ne tardera pas à rentrer. Tu le savais ?”

 

Hongyi était tout essoufflée d’avoir gravi la colline. La petite servante avait à peu près le même âge que Yeongyo. Déçue par son absence de réaction, elle prit place sur l’herbe d’un air vexé et enchaîna :

 

“Fait exceptionnel, Iheon a participé à la bataille. Le prince à la beauté d’ange manierait l’épée comme un démon. Sa réputation de terreur ne date pas d’hier !”

 

Eh oui, le retour de Samagang n’était qu’un prétexte. Hongyi cherchait quelqu’un pour échanger des potins sur le célèbre personnage. Yeongyo la laissa donc pérorer sans plus de commentaires.

 

“Tu crois que la rumeur dit vrai ? Je n’ai jamais vu le prince en vrai car il a quitté la région dès sa majorité. Puisqu’un banquet de la victoire est prévu en son honneur, je me glisserai parmi les badauds ! La concurrence promet d’être rude…”

 

Hongyi semblait partagée entre la fascination et le dégoût. Au fond, la question importait peu.

 

Les mains croisées derrière la tête, Yeongyo contemplait le ciel. Une nuée d’oiseaux migrateurs revenait du sud, annonçant les prémices de la belle saison. Leur présence coïncidait avec la fin de la campagne militaire contre les Barbares. N’ayant nullement envie de dévoiler son attirance pour Samagang, le secrétaire marmonna d’une voix maussade :

 

“Le prince ne jure que par les oiseaux. Pas étonnant qu’il soit encore célibataire !”

“Quoi de plus naturel quand on est protégé par une divinité animale ?” rétorqua Hongyi. “Ceci expliquerait ses innombrables qualités. Décris-le-moi ! Tu as déjà eu la chance de le croiser !”

 

Pas de doute, la servante était obsédée par le physique d’Iheon. Comment l’en blâmer ? Toute la maisonnée se passionnait pour le quatrième fils de l’empereur depuis qu’un messager avait confirmé son arrivée prochaine aux côtés de Samagang.

 

Ces deux-là avaient sympathisé au cours de leurs études à l’École des Hautes Lettres. Yeongyo était parfois amené à les assister mais pas au point de braver les différences sociales.

 

“Désolé, je n’ai jamais osé le regarder en face.”

“Essaie quand même ! Tu dois avoir une idée de son allure !”

 

Il soupira de lassitude quand le souvenir d’une silhouette délicate et élancée affleura.

 

“Il était d’une séduction folle…”

 

L’affaire remontait à loin. Conformément aux dires de Hongyi, le prince avait tôt fait de rejoindre son domaine et Yeongyo ignorait ce qu’il devenait.

 

Son unique préoccupation était Samagang.

 

Yeongyo l’avait suivi comme son ombre durant treize années. Y compris dans l’établissement de prestige réservé aux rejetons de la haute noblesse ou pendant que Samagang assurait la sécurité du prince au palais d’été. Hélas, il dut renoncer à l’accompagner sur le champ de bataille à cause d’une chute dans l’escalier. Taewi décréta que sa blessure à la jambe le rendait inapte à partir au front. En vérité, il n’avait nullement envie de se séparer d’un secrétaire aussi compétent.

 

Samagang était sur le retour après trois ans. Sûrement plus viril que jamais.

 

Yeongyo se redressa avec lenteur. Il avait beau plisser des yeux, l’obscurité l’empêchait de distinguer quoi que ce soit. Il aurait voulu avoir une divinité animale comme Iheon pour s’envoler auprès de l’être aimé. Ravalant sa peine, il entreprit de redescendre de la colline.

 

“Attends-moi, s’écria Hongyi. Ce n’est pas gentil de m’abandonner !”

 

Une brise se leva tandis que la demoiselle lui emboîtait le pas. L’air nocturne embaumait un doux parfum printanier qui n’était pas sans rappeler le sourire de Samagang.

 

***

 

Huit jours venaient de passer et l’excitation était palpable dans la demeure seigneuriale. Samagang avait franchi le point de contrôle au sud-ouest. Il ne lui fallait qu’une demi-journée à cheval pour atteindre la capitale.

 

Le personnel s’affairait joyeusement pour accueillir son héros. Yeongyo faisait les cent pas quand l’intendant l’interpella :

 

“Approche, mon petit ! Il y a un problème dans le registre.”

 

Le jeune homme tenait les comptes depuis quelques années et l’intendant se contentait de vérifier le résultat final. Yeongyo parcourut rapidement les colonnes. La liste des acquisitions ne concordait pas avec l’inventaire. Il avait commis une erreur dans sa hâte de revoir Samagang.

 

“Pardon, chef. Je me suis trompé.”

“Eh bien ? Tu étais un modèle de rigueur et de précision.”

“Passez-moi le document, je vais corriger le chiffre.”

 

Yeongyo se confondit de nouveau en excuses avant de procéder à la rectification. Il se sentait honteux de sa négligence.

 

“Et maintenant, file vite te changer ! Tu ne peux pas saluer ton supérieur dans cet état.”

 

Le secrétaire jeta un coup d’œil sur sa tenue. Il portait un vieil ensemble de coton qui n’était ni taché, ni troué. Qu’est-ce qui n’allait pas ? Mais l’amour justifiait bien un effort d’élégance.

 

“Entendu, je ne serai pas long.”

 

Il se rendit dans la chambre située au fond du pavillon des domestiques. La pièce d’environ 6,5 m2 ne comportait qu’une table basse et une armoire de dimensions réduites. Il finit par en extirper une tunique achetée au marché peu avant la séparation. Le vêtement était d’un jaune éclatant comme le forsythia. La couleur n’avait rien de masculin mais l’enthousiasme de Samagang avait eu raison de ses réticences.

 

Yeongyo n’avait encore jamais porté l’habit de soie. C’était le bon moment pour sauter le pas. Le cœur battant, il enfila la précieuse tunique.

 

Samagang serait là dans un instant.

 

Un vacarme s’éleva de la cour. Yeongyo se précipita aussitôt dehors. Tous les occupants du château y étaient réunis. Des silhouettes de cavaliers se dessinaient dans le cadre des portes grandes ouvertes. Le groupe arborait des armures. Les yeux de Yeongyo étaient rivés sur l’homme qui montait un cheval brun. Il ne voyait personne d’autre.

 

Celui qui avançait fièrement sous le soleil au zénith était bien l’homme de ses rêves.

 

Yeongyo plaqua ses paumes sur sa poitrine pour calmer son cœur affolé. Les traits de Samagang se précisaient de seconde en seconde. Le secrétaire remarqua soudain une étrange présence.

 

“Qui est-ce ?”

“Euh… mais…”

“Sa Seigneurie a amené une demoiselle ?”

 

La surprise était générale. L’assistance dévisageait l’inconnue qui partageait la monture du jeune maître. Les conciliabules allèrent bon train.

 

“Un peu de silence !” tonna l’intendant.

 

Mais les tourtereaux avaient l’air si amoureux que le brouhaha ne diminuait guère. Les yeux écarquillés, Yeongyo continuait de scruter Samagang en se tordant les mains.

 

Une douleur sourde élançait sa poitrine tandis que ses pensées vacillaient.

 

L’héritier du clan atteignit enfin l’entrée. Il descendit seul du cheval et s’arrêta net devant Taewi.

 

“Bonjour, père.”

 

Samagang affichait un sourire éblouissant. Le charmant éphèbe était devenu un beau mâle plein d’assurance.

 

“Sois le bienvenu” articula Taewi en louchant sur l’invitée.

 

Yeongyo l’imita discrètement. Âgée d’une vingtaine d’années, elle regardait ses hôtes avec un mélange de pudeur et de curiosité. En vérité, elle épiait surtout Taewi.

 

Qui pouvait-elle bien être ?

 

Quelle était la nature de leur relation ?

 

La réponse coulait de source, à en juger par la complicité du couple. Yeongyo n’était pas prêt à affronter la vérité. Il se doutait pourtant bien que le couperet tomberait tôt ou tard. Sa passion pour Samagang n’avait pas d’avenir. Il était résigné à se satisfaire d’un rôle de serviteur et de confident jusqu’à la mort. Or la brutalité de la situation le laissait désemparé.

 

“Cela faisait longtemps, Yeongyo.”

 

Samagang se détourna de son père pour lui adresser la parole. Yeongyo releva le menton et lissa sa tunique. Au cas où l’étoffe aux reflets de forsythia rappellerait des souvenirs à son supérieur.

 

“Je te confie mon amie !” asséna l’héritier. “Prends soin d’elle, le voyage a été fatigant.”

 

Ses yeux de velours dévoraient la jeune femme alors qu’il s’exprimait d’une voix rêveuse. Incapable de parler, Yeongyo regarda l’un et l’autre d’un air stupéfait.

 

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