Jaeeren - Romance Contemporaine
Jouer la doublure de l'héritière capricieuse d'un conglomérat est déjà un défi, alors se rendre à sa place pour une rencontre de mariage arrangé ? De toute façon, Soeun n'a pas le choix. Mais cette ruse tombe à pic : … plus
Un blizzard mordant faisait chanceler Soeun. L’ascension de la colline était ardue. La jeune femme avait le souffle court et la gorge sèche. Son pouls battait violemment. Chaque pulsation évoquait une lame fourrageant dans son cœur.
Soeun frotta ses yeux humides. Elle était dans tous ses états depuis qu’elle avait répondu à ce numéro inconnu. L’appel tant espéré l’avait amenée ici mais le souvenir du trajet restait flou. Soeun marchait sous la neige, indifférente au givre qui raidissait son abondante crinière.
Elle finit par atteindre l’adresse mentionnée dans la conversation téléphonique. Dotée d’une immense clôture, la luxueuse demeure avait quelque chose d’irréel dans ce paysage. Sa petite sœur y avait autrefois travaillé comme aide-ménagère. Soeun respira un grand coup avant de sonner.
“Oui ?”
“Je suis Cha Yeonju.”
Elle était trop habituée à sa double vie pour s’encombrer de scrupules. Soeun flottait dans la robe prêtée par Yeonju. Le tissu empestait le parfum comme sa vraie propriétaire. Le portail glissa dans un cliquetis nerveux. Soeun tendit une jambe vers l’intérieur. Elle avait la sensation de s’enfoncer dans un marécage.
Une imposante habitation revêtue de marbre se dressait au milieu du jardin. Une piscine trônait à l’entrée. Soeun avait fait tout ce chemin pour découvrir la vérité. Elle devait faire preuve de patience. Une telle opportunité n’allait pas se présenter deux fois. Une femme d’âge mûr la scrutait depuis le perron.
“Vous êtes l’héritière de Myeongjin Pharmaceutique ?”
“En effet.”
La porte s’ouvrit aussitôt en grand. L’inconnue se présenta pendant qu’elles marchaient dans le couloir :
“Je suis la gouvernante de la résidence. Vous pouvez m’appeler Madame Lim.”
On voyait tourbillonner les flocons de neige à travers les baies vitrées du salon. La scène reflétait l’état d’esprit de Soeun.
“Le patron ne va pas tarder” déclara l’employée.
Soeun avait le cœur au bord des lèvres mais esquissa un sourire poli. Un plateau de thé et de collation apparut lorsqu’elle s’assit bien droite sur le canapé.
“Il est rare qu’un rendez-vous matrimonial se déroule à domicile…”
La gouvernante se bâillonna la bouche, consciente d’avoir manqué de tact.
“Je vous prie de m’excuser, Mademoiselle.”
Soeun regarda la fenêtre au lieu de répliquer. Le blizzard s’était calmé. Les flocons de neige tombaient en silence sur les branches nues des arbres. Le tableau était saisissant de beauté. La jeune femme buvait des yeux le spectacle féérique. Dieu seul savait la laideur qu’il recelait.
“Vous avez fait vite” murmura une voix masculine.
C’était Ijun, l’aîné de la famille Gwon. Le fringant célibataire dirigeait une chaîne de grands magasins appartenant au clan. Soeun prit la peine de l’étudier. Le maître des lieux mesurait plus de 1,90 m. Ses yeux en amande brillaient d’un éclat aussi froid que le vent hivernal tandis que le dessin de son nez avait la perfection d’une statue antique. Ijun ressemblait davantage à un sportif de haut niveau qu’à un businessman. Bref, il était follement séduisant. C’est son accoutrement qui posait problème. Le goujat arborait un peignoir dont la ceinture menaçait de lâcher à tout moment. Le col laissait entrevoir des pectoraux d’acier.
L’invitée rougit jusqu’aux oreilles. Il aurait pu faire un effort vestimentaire. Certes, elle avait bousculé les conventions en s’imposant chez lui. La grossièreté d’Ijun n’en restait pas moins choquante. Le célèbre homme d’affaires ne devait pas être sain d’esprit.
Soeun serra les poings pour contenir un frisson. Celui qu’elle désespérait de coincer lui faisait face. L’individu respirait la santé, ce qui contredisait sa réputation de fêtard et de débauché. Toujours est-il que le monsieur n’avait aucun savoir-vivre. Ijun fronça les sourcils, surpris par le mutisme de son rendez-vous.
“Euh… Yeonju ?”
Puis il ajouta dans un sourire :
“J’ignorais qu’il neigeait dehors.”
La jeune femme réalisa qu’elle avait encore les cheveux humides et emmêlés. Le Dieu de la Météo n’était pas de son côté. Elle sentit soudain une ombre au-dessus de sa tête. Ijun venait de la rejoindre d’un bond. Quelle mouche l’avait piqué ? Il était en train de la débarrasser des dernières traces de givre. Soeun était bouche bée.
Le contact de la paume virile lui brûlait la peau. La jeune femme recula brusquement d’un pas. On reconnaissait bien là un dragueur. Elle avait horreur des types qui avaient la main baladeuse.
“Je peux me débrouiller seule.”
Elle extirpa ostensiblement un mouchoir de son sac pour se nettoyer. Ijun l’observait avec intérêt, la tête penchée sur un côté.
“Vous n’avez pas pris la voiture ?”
“Je voulais marcher un peu…”
“Par ce temps ?”
Elle ne sut quoi répondre. Yeonju réquisitionnait son chauffeur pour le moindre déplacement. Soeun regrettait de ne pas avoir commandé un taxi.
“Votre père exagère” renchérit Ijun d’un air hilare. “Les actions de Myeongjin Pharmaceutique ont plongé en une nuit ?”
Sa pomme d’Adam ondulait pendant que Soeun se mordillait les lèvres.
“Je ne pensais pas que vous viendriez à mon domicile.”
“Vous me trouvez mal élevée ?”
“Jamais de la vie !”
Le contraire m’aurait étonnée.
Soeun ricanait en son for intérieur.
“Je cherchais à vous simplifier la vie. Le palace où vous enchaînez les rencontres arrangées n’est pas la porte à côté.”
Ijun comprit le sarcasme et toisa férocement le minois de l’impertinente. Ils s’affrontèrent du regard dans un silence de mort. Le riche héritier finit par s’esclaffer.
“Vous êtes bien renseignée” déclara-t-il en buvant une gorgée de thé.
Soeun loucha sur l’assiette de gâteaux. La tarte sortait visiblement du four. Les noix entières enrobées de sirop lui donnaient l’eau à la bouche. Elle n’avait rien mangé de la journée. Alors pourquoi se gêner ? Une explosion de saveurs la cueillit aussitôt.
Hélas, l’euphorie fut de courte durée. Ijun la fixait avec l’attention d’un fauve en pleine chasse. On aurait juré qu’il sondait le tréfonds de son âme. Soeun se raidit malgré elle.
“Qu’est-ce qu’il y a ?”
“Je m’inquiète pour votre santé.”
“Pardon ?”
Ijun attendit qu’elle avale la dernière bouchée pour susurrer :
“Il me semblait que vous étiez allergique aux fruits à coque.”
“Ah…”
Soeun avait les joues en feu. Sa propre négligence la remplissait de honte. Soeun connaissait tous les secrets de Yeonju sur le bout des doigts. Sa mémoire ne souffrait d’aucune faille. Elle était armée pour triompher des questions pièges. Sûre de son talent de comédienne, la jeune femme tenta un coup de bluff :
“Je rêve ou vous avez essayé de m’empoisonner ?”
Un sourire étira les lèvres d’Ijun face à tant d’aplomb.
“Je me demandais si vous auriez le courage de renverser l’assiette.”
“Désolée de vous avoir déçu. Merci quand même pour le goûter !”
Soeun priait pour que son visage reprenne une couleur normale.
“Mon allergie a disparu à l’âge adulte.”
L’explication arracha un autre sourire au beau gosse. La jeune femme n’en menait pas large. Force était de constater que son adversaire l’intimidait. Le regard magnétique d’Ijun passait de l’orage à une douceur caressante sans crier gare. Il soufflait le chaud et le froid, tel un félin qui ronronnait pour mieux dissimuler ses griffes. Ijun massa ses tempes en poussant un soupir.
“Je vais être direct, Yeonju.”
Soeun se redressa, les sens en alerte. Allait-il la déshabiller dans le salon ? Connaissant le personnage, la chose n’avait rien d’impossible. Elle n’en crut pas ses oreilles quand il reprit la parole.
“Mon aïeul désire que je me marie et vous avez le bon profil.”
La jeune femme hocha la tête dans un état second. Les difficultés s’aplanissaient comme par magie.
“Faisons l’impasse sur les fiançailles pour accélérer la procédure” suggéra le prétendant.
Soeun fut parcourue d’un frisson. Tout allait trop vite. Il ne fallait pas que le nom de Yeonju figure sur les documents administratifs.
“À une condition !”
Soeun poursuivit d’une voix ténue mais ferme :
“Signez d’abord un accord d’investissement en faveur de Myeongjin.”
“Vous ne perdez pas le nord” siffla Ijun.
Ce disant, il quitta son fauteuil pour la rejoindre. L’atmosphère devenait électrique à mesure qu’il s’approchait.
“Pourquoi vous êtes si pressée ?”
Ijun était penché sur la gorge palpitante de la jeune femme. Il chuchota avec une lenteur calculée :
“Entendu, vous aurez gain de cause.”
“Dans ce cas…”
Soeun était au paroxysme de la nervosité.
“Je retire mes vêtements ici ?”
L’hôte se figea sur-le-champ. La colère déformait ses traits. La jeune femme déglutit. Avait-elle commis une erreur ? Ses longs cils en éventail tremblaient d’appréhension.
“Vous écartez vos jambes dès le premier soir ?”
La question fut suivie d’un rire cynique.
“Une négociatrice avisée attendrait que je remplisse ma part du contrat” railla le businessman.
Le ton était enjoué mais dépourvu de chaleur. La confrontation replongeait Soeun dans un passé douloureux. Ijun asséna d’une voix basse :
“Je n’aime pas la facilité.”