Tu restes ou tu pars ? - Webnovel - Narae

Tu restes ou tu pars ?

Emilie Parizot - Contemporary Romance

Quand leur avion traverse de violentes turbulences, Daisy et Ellis, deux inconnus, se lancent dans un jeu dangereux : “Tu restes ou tu pars ?”. Entre aveux impulsifs et vérités inavouables, ils se quittent persuadés de ne jamais se revoir. Mais … altro


21 Episodi

Épisode 1

 

Ellis

 

 

J’avance dans l’allée centrale de l’avion comme si on me menait au peloton d’exécution. Vêtu de noir, les épaules tendues et la mâchoire verrouillée, j’ai l’air d’un type en deuil de ses vacances avant même qu’elles n’aient commencé.

 

Autour de moi, il n’y a que des voix enjouées, des visages détendus, des polos pastel et des espadrilles. Les passagers ont l’air de sortir tout droit d’un catalogue vantant les mérites d’un week-end parfait à Nantucket : verre de vin blanc au coucher de soleil, photos devant les bars à huîtres et balades à vélo vintage.

 

J’envie leur insouciance. On se rend au même endroit, mais pas pour les mêmes raisons.

 

Eux fuient le stress.

 

Moi, j’y saute à pieds joints.

 

Ce qui m’attend, ce sont des gaufres sans gluten, des conversations hypocrites et dix jours de cohabitation avec ma famille dans une villa qui sera certainement trop petite pour notre ego collectif.

 

D’habitude, j’évite les vacances familiales. Mais difficile d’invoquer une excuse pour ne pas assister à un mariage. Encore moins quand il s’agit de celui de Georgia. Ma sœur.

 

Quoique… m’étouffer avec une cacahuète pendant le vol reste une option.

 

Je repère enfin la rangée vingt-trois, glisse ma valise dans le compartiment à bagages avant de me laisser tomber sur le siège que j’ai réservé côté couloir.

 

Et je ferme les yeux en attendant que chacun ait trouvé sa foutue place, que les rires s’estompent et que l’avion décolle. Cette heure de vol sera mon dernier moment de répit avant longtemps et la seule chose positive, c’est que pour l’instant, je n’ai pas de voisin.

 

J’inspire profondément en m’efforçant de faire le vide dans mon esprit. De ne pas penser au Google Docs intitulé “Guide du mariage” que m’a envoyé Georgia.

 

L’agacement me submerge et finalement je rouvre les yeux.

 

Au bon moment pour voir débarquer une tornade humaine. Une jeune femme brune dont les cheveux s’échappent de son chignon. Son T-shirt a glissé sur son épaule et ses yeux sont masqués par des lunettes de soleil en forme de cœur. Elle traîne deux tote-bags qui paraissent contenir toute sa vie et peut-être même son animal de compagnie et s’excuse en heurtant la tête d’un passager avec son sac à main avant d’en heurter un autre.

 

Si le bordel était une personne, ce serait elle.

 

Je retiens ma respiration pendant qu’elle prononce un par un les numéros des sièges.

 

“Vingt-trois A” marmonne-t-elle.

 

Elle pose un sac au sol pour en hisser un autre dans le compartiment. Elle force ensuite pour que le second passe et une boîte en métal s’en échappe, manquant de peu mon crâne. Elle ricoche avec un bruit sourd sur mon accoudoir et je me retiens pour ne pas pousser un hurlement.

 

“Oups” grimace-t-elle en la ramassant.

 

Sans un mot, je me lève pour qu’elle puisse rejoindre sa place à ma gauche.

 

Je tente de faire abstraction de sa présence alors qu’elle gigote pour s’attacher. Je lutte pour ne pas soupirer quand elle bataille ensuite pour faire rentrer dans son petit sac à main la boîte en métal et je réprime un rire nerveux quand elle abandonne et sort son téléphone pour laisser une note vocale à quelqu’un. Elle essaie de chuchoter mais n’a visiblement pas compris le concept.

 

“Bilan de la situation : je suis dans l’avion. J’espère juste qu’il ne va pas se crasher, parce que j’ai la poisse en ce moment. Et comme si c’était fait exprès, j’ai la boîte qui contient mes ex dans les mains. Peut-être que c’est un signe de mauvais augure. Ou alors, ils sont là pour me rassurer car j’ai la hantise de l’avion… Bref, cette heure va être la plus longue de ma vie.”

 

Je manque de m’étouffer avec ma salive.

 

Elle a bien dit “la boîte qui contient mes ex” ?

 

Poussé par une impulsion morbide, je jette un coup d’œil à la boîte en question qu’elle serre entre ses mains crispées. Un rectangle en métal bariolé portant le logo d’une marque de biscuits.

 

Elle contient quoi ?

 

Des lettres d’adieu ? Des dents ? Des cendres ?

 

Sentant mon regard, elle pivote vers moi. Si vite que je n’ai pas le temps de me détourner.

 

“Ah… Tu as écouté ?” soupire-t-elle en analysant mon expression blasée.

 

Sa voix me prend par surprise. Rauque et un peu cassée. Comme si elle fumait beaucoup trop ou riait en permanence. Ou les deux.

 

Et son culot me laisse une seconde sans répartie.

 

“Je n’ai pas écouté, j’ai entendu” je rétorque.

 

Les moteurs de l’avion se mettent en route et elle sursaute. Elle lâche la boîte pour retirer ses lunettes, les glisse dans son sac avant de s’enfoncer dans son siège, puis elle se penche vers moi.

 

“L’avion m’angoisse.”

 

Son murmure fait hérisser mes poils. Il sonne comme une confidence. Ou alors un appel à l’aide. En tout cas, il m’oblige à capter son regard.

 

Vert, instable et… paniqué, en effet.

 

Oscillant entre l’agacement et une étrange empathie, ma voix sort plus douce que prévu.

 

“Statistiquement, il y a plus de chances de mourir en voiture que dans un avion.”

 

Elle inspire profondément, s’écrase contre son dossier et ferme les yeux.

 

Avant de les rouvrir brutalement.

 

“Statistiquement, tu ne tombes pas deux fois sur un mec qui reçoit un appel en plein rencard et s’en sert de prétexte pour s’éclipser. Ça m’est pourtant arrivé.”

 

Je la fixe sans savoir quoi répondre car en cet instant, j’aimerais bien que quelqu’un m’appelle pour que je puisse m’échapper.

 

Je sais d’ores et déjà que le vol va être long. Qu’il sera même un avant-goût des dix jours qui m’attendent.

 

“Il vaut mieux ne pas parler de statistiques” ajoute-t-elle.

 

Et peut-on ne pas parler du tout ?

 

Comme pour lui intimer l’idée, je me détourne et feins de me concentrer sur les gestes de sécurité que présente le steward pendant le décollage.

 

Et ça marche. Pendant quelques minutes, je ne l’entends plus. Seules ses phalanges agrippées autour de la boîte en métal trahissent son stress.

 

Je m’apprête à fermer les yeux quand l’avion tressaute. La cabine vibre, les passagers sursautent et pendant quelques secondes, le silence est pesant.

 

“C’était quoi ?” s’étrangle ma voisine.

“Un trou d’air. Rien de grave.”

 

Je termine à peine ma phrase que les turbulences reprennent. Les voyants au-dessus de nos têtes clignotent et des murmures étouffés se font entendre.

 

“Je le savais. Je n’aurais pas dû monter dans cet avion” gémit-elle.

“C’est la première fois ?”

 

Elle plonge son regard dans le mien.

 

“Que je vais me crasher ?”

 

J’étouffe un soupir.

 

“On ne va pas se crasher.”

 

J’aimerais bien que l’avion me donne raison en se stabilisant, mais pour l’instant, c’est mal parti. Le commandant de bord fait une annonce rassurante sur la zone de turbulences que nous traversons avant de demander aux passagers de garder leur ceinture, mais l’insouciance a disparu des visages alentour.

 

Et l’angoisse se lit sur celui de la jeune femme à côté de moi.

 

“Ce matin, je trouvais ma vie nulle. Je me suis levée en me disant que je n’étais bonne qu’à accumuler les catastrophes. Et maintenant, je vais mourir dans un feu d’artifice.”

 

Elle pousse un cri lorsque l’avion tressaute à nouveau et lâche sa boîte pour se passer les mains sur le visage.

 

J’aimerais avoir l’air plus assuré mais plus les minutes passent dans ce chaos, moins j’en mène large et je suis en train de me demander si on ne va pas piquer une tête dans l’Atlantique. J’avais peur de ne pas survivre à dix jours en famille mais il est probable que je n’atteigne pas le premier.

 

“J’ai vingt-cinq ans et je n’aurai rien fait de satisfaisant dans ma courte vie” se lamente-t-elle encore en croisant et décroisant les doigts.

 

Mon angoisse monte d’un cran quand des compartiments à bagages s’ouvrent en provoquant des cris de passagers.

 

“Si cela peut te rassurer, je me suis aussi levé ce matin en trouvant que ma vie était nulle” je m’entends lui avouer.

 

Elle me toise un instant avec un air sceptique.

 

“Tu fais quoi dans la vie ?” me demande-t-elle.

“Rien d’intéressant.”

 

Je n’ai pas envie de lui révéler la nature de mon activité. Je n’en ai jamais parlé à personne et j’aurais alors l’impression de la laisser entrer dans mon intimité.

 

“Tu peux le dire, ce sont nos derniers instants. Tu es tueur à gages ?”

 

J’arque un sourcil avant de ricaner face à son sérieux.

 

“Qu’est-ce qui te fait dire ça ?”

“Tu es tout en noir, tu as l’air de vivre ta vie continuellement crispé et tu n’es pas très aimable.”

“Merci.”

“Tu n’es pas d’accord ?”

 

Mais… qui est cette personne ?

 

Le pire, c’est qu’elle a raison sur toute la ligne.

 

Du coup, je décide de ne plus faire d’effort et reporte mon attention sur l’allée centrale. Les hôtesses de l’air ont refermé les compartiments et sont reparties s’attacher sur les sièges à l’avant de l’appareil.

 

Le silence est angoissant et les turbulences ne nous laissent que peu de répit. On a décollé à la tombée de la nuit et à présent, seule l’obscurité filtre à travers les hublots, ce qui ne fait qu’ajouter à la tension ambiante.

 

Au énième trou d’air, ma voisine m’attrape le bras en criant. Par réflexe, je pose une main sur la sienne. Je crois que j’essaie de la rassurer ou… c’est peut-être moi qui m’agrippe.

 

“Ça va aller” je murmure.

 

Ses prunelles d’un vert intense me dévisagent.

 

“Je ne sais pas ce qui est le pire” souffle-t-elle.

“Entre quoi et quoi ?”

“Entre mourir en tenant mes ex dans les mains ou en serrant la paume moite d’un inconnu qui me ment pour que j’arrête de parler.”

 

Elle retire sa main subitement pour récupérer sa boîte et je l’observe, dubitatif.

 

“Il y a quoi dans cette boîte ?”

 

Elle me fixe longuement. Pour la première fois depuis qu’elle a déboulé dans ce vol, elle semble hésiter avant de parler.

 

“Une piqûre de rappel. Plusieurs, en fait…”

 

En cet instant, je donnerais n’importe quoi pour savoir ce qu’il y a à l’intérieur.

 

L’avion nous secoue encore. Elle ferme les yeux un instant avant de les rouvrir brusquement.

 

Et sa voix rauque fend l’obscurité.

 

“On peut jouer à un jeu ?” me propose-t-elle.

 

En réalité, c’est plus une supplique qu’une proposition.

 

Elle me fixe.

 

Un frisson me parcourt, sans doute à cause des secousses qui reprennent de plus belle.

 

“Un jeu ?”

“Je vais te poser une question qui se termine par : tu restes ou tu pars ? Tu dois répondre franchement. OK ?”

 

J’acquiesce et elle sourit.

 

“Tu rencontres quelqu’un. Tu tombes amoureux. C’est réciproque. Mais elle a une serviette de douche qu’elle appelle Kevin et qui la suit même quand elle vient dormir chez toi. Tu restes ou tu pars ?”

 

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