Envoyée spéciale au pays du Père Noël - Webnovel - Narae

Envoyée spéciale au pays du Père Noël

Estelle Every - Romance Contemporaine

Alice, journaliste désabusée et Grinch assumée, n’a plus d’inspiration. Mais sa cheffe lui impose un ultimatum : écrire une série d’articles débordant d’esprit de Noël… ou rendre son clavier. Une soirée un peu trop arrosée plus tard, sa meilleure amie … plus


40 Épisodes

Épisode 1

 

Alice

 

Héroïne en détresse professionnelle

 

Je fixe l’écran blanc de mon ordinateur depuis maintenant… je jette un coup d’œil à l’horloge… trois heures et demie !

 

Le curseur clignote avec l’insistance d’un métronome sadique, me rappelant seconde après seconde que mon inspiration s’est volatilisée quelque part entre mon troisième café et ma cinquième tentative d’ouverture révolutionnaire.

 

“Les nouvelles tendances beauté de l’hiver” ? Non. Banal. “Comment rester stylée quand il pleut : le guide ultime” ? Encore pire.

 

Je supprime rageusement les quelques mots qui osaient polluer ma page Word blanche.

 

La rédaction du magazine bruisse autour de moi de cette agitation de fin de journée. Mes collègues tapent frénétiquement sur leurs claviers avec l’assurance de ceux qui savent exactement ce qu’ils doivent écrire. Moi, je ressemble à un écrivain en panne d’essence au beau milieu de l’autoroute de la créativité.

 

Mon téléphone vibre.

 

Clara : On sort ce soir ? Tu as l’air d’avoir besoin de décompresser. Et accessoirement de te changer les idées fashion-wise parce que ton combo pull léopard + jean troué de ce matin me donne des boutons.

 

Je baisse les yeux sur ma tenue.

 

OK, sur ce coup, ma meilleure amie/colocataire n’a pas tort.

 

Mais quand on est en pleine crise créative, les sélections vestimentaires passent au second plan. D’ailleurs, ce pull est très confortable et le jean troué, c’est un choix esthétique parfaitement assumé.

 

Enfin, plus ou moins.

 

Je commence à lui répondre quand une voix glaciale résonne derrière moi.

 

“Alice Bell. Je voudrais vous voir dans mon bureau. Maintenant.”

 

Cordelia Worthington.

 

Ma nouvelle rédactrice en chef.

 

La femme qui peut transformer un journaliste confiant en pudding tremblotant d’un seul regard. Celle qui a été engagée par le conseil d’administration du magazine pour redresser la barre.

 

On dirait bien que la première chose qu’elle a décidé de redresser, c’est moi. Et cela n’a rien à voir avec les manipulations de mon ostéo quand il veut me remettre les vertèbres en place.

 

Je me retourne pour croiser le regard gris acier de Cordelia qui semble dire “Ton karma t’a rattrapée, ma petite”.

 

Je sauvegarde précipitamment mon document vide et la suis jusque dans son bureau vitré qui domine la rédaction tel le phare du jugement dernier. Si tant est qu’une telle chose existe…

 

Cordelia s’installe derrière son bureau immaculé – pas un stylo qui dépasse, pas une trace de café, même pas un grain de poussière qui oserait s’aventurer sur son territoire.

 

“Asseyez-vous” me dit-elle en désignant la chaise face à elle.

 

Je m’exécute en essayant de ne pas paraître aussi nerveuse que je le suis réellement.

 

Cordelia ouvre un dossier – le mien, je présume – et en extrait plusieurs feuilles qu’elle étale méthodiquement devant elle.

 

“Parlons de vos derniers articles, Alice.”

 

Oh non. Oh non, non, non !

 

L’influence des chaussures pointues sur la confiance des femmes modernes. Septembre.”

 

Elle prononce le titre avec le même dégoût que si elle lisait “Comment faire fondre des chatons à la poêle”.

 

Ces célébrités qui osent sortir sans maquillage : scandale ou révolution ? Octobre.”

 

Sa voix devient encore plus pincée.

 

“Et mon préféré… Horoscope capillaire : quelle coupe selon votre signe astrologique ? Il y a deux semaines.”

 

Je ne peux pas m’empêcher de jeter un coup d’œil à son chignon serré et je me demande si elle ne serait pas Capricorne, par hasard.

 

Je déglutis péniblement. Présentés comme ça, mes articles récents ont effectivement l’air… comment dire… un peu futiles.

 

Mais bon, c’est de la presse people ! On n’est pas au Guardian, ici ! Et puis, ces articles ont été validés par la précédente rédactrice en chef…

 

“Cordelia, je peux vous expliquer…”

“Alice” dit-elle en se penchant vers moi, ses mains parfaitement manucurées croisées sur le bureau. “Il fut un temps où vous écriviez avec une certaine… passion. Vos portraits avaient de la profondeur. Vos articles de société sonnaient juste. Qu’est-il arrivé à cette journaliste-là ?”

 

Excellente question.

 

J’aimerais bien le savoir moi-même.

 

Je crois qu’elle s’est perdue quelque part entre ma rupture catastrophique avec James (qui a eu le culot de me larguer par SMS) et ma crise existentielle de presque-trentenaire qui ne sait pas trop ce qu’elle fait de sa vie.

 

“J’ai traversé une période un peu… difficile” dis-je en tripotant l’ourlet effiloché de mon pull léopard.

“Nous avons tous des périodes difficiles, Alice. La différence, c’est que certains journalistes trouvent l’inspiration dans l’adversité, tandis que d’autres… écrivent sur l’horoscope capillaire.”

 

Aïe. Ça pique. Vraiment. Encore plus que la fois où j’ai marché sur un oursin alors que je voulais passer d’une plage à une autre au Mexique et que je croyais que le chemin le plus rapide était…

 

“Est-ce que je vous ennuie ?”

 

La voix de ma boss claque dans le bureau, et je me redresse instinctivement sur mon siège comme pour me mettre au garde-à-vous.

 

“Je vais m’améliorer, Cordelia. J’ai juste besoin de…”

“Parfait, c’est ce que je voulais entendre” m’interrompt-elle avec un sourire qui ne présage rien de bon. “Parce que j’ai exactement ce qu’il vous faut pour vous ressaisir.”

 

Elle sort une nouvelle feuille de son dossier mystère et la pousse vers moi.

 

Je baisse les yeux et lis le titre qui s’étale en gros caractères :

 

[Numéro spécial Noël – L’esprit des fêtes dans le monde moderne]

 

“Nous allons lancer une série d’articles sur l’esprit de Noël” annonce-t-elle avec l’enthousiasme d’un présentateur de télé-achat. “Cinq papiers, dont le dernier à livrer avant le 20 décembre. Je veux du sentiment, de l’authenticité, de la magie. Je veux que nos lectrices aient les larmes aux yeux et deviennent accro à nos éditions spéciales.”

 

Je cligne des yeux, certaine d’avoir mal entendu.

 

“Vous… Vous voulez que j’écrive sur Noël ?” m’étranglé-je.

“Exactement.”

“Sur l’esprit de Noël ?”

“Vous comprenez vite, Alice.”

“Mais Cordelia… je déteste Noël.”

 

Le silence qui suit pourrait couper le verre.

 

Cordelia me regarde comme si je venais de lui annoncer que je collectionne les têtes réduites dans mon temps libre.

 

“Pardon ?”

“Je… Enfin… Je ne déteste pas Noël à proprement parler” dis-je en me tortillant sur ma chaise. “C’est juste que… toute cette comédie commerciale, ces faux sentiments, cette obligation d’être heureux en famille, ces chants ridicules qu’on entend en boucle dès novembre…”

 

Cordelia lève une main pour m’interrompre.

 

“Alice, laissez-moi vous expliquer quelque chose. Nous sommes un magazine féminin grand public. Nos lectrices adorent Noël. Elles demandent du contenu festif dès le lendemain d’Halloween. Et nous, nous sommes ici pour leur donner exactement ce qu’elles veulent.”

“Mais comment voulez-vous que j’écrive sur quelque chose que je trouve artificiel et…”

“Vous allez apprendre à aimer Noël. Ou du moins, vous allez apprendre à comprendre pourquoi d’autres l’aiment. C’est votre job de journaliste de vous immerger dans votre sujet, n’est-ce pas ?”

 

Elle n’attend pas ma réponse et se lève pour se diriger vers la fenêtre qui donne sur une rue grouillante de Londres.

 

Même d’ici, on peut voir les premières décorations de Noël qui apparaissent dans les vitrines. Des guirlandes qui clignotent, des sapins en plastique, des pères Noël en mousse qui semblent me narguer.

 

“Vous avez deux semaines pour me livrer le premier article” reprend Cordelia sans se retourner. Si ce papier n’a pas l’émotion et l’authenticité que j’attends, nous devrons reconsidérer votre place dans cette équipe.”

 

Mon estomac fait un bond spectaculaire, et la sensation est encore pire que de dégringoler les étages de la Tour de la Terreur.

 

Reconsidérer ma place dans l’équipe.

 

Autrement dit : je serai virée plus vite qu’un mauvais serveur dans un restaurant étoilé.

 

“Cordelia, vous ne pouvez pas… Enfin, j’ai besoin de ce travail !”

“Alors, donnez-moi une raison de vous garder” dit-elle en se retournant vers moi. “Montrez-moi que la journaliste talentueuse qui a été embauchée il y a trois ans existe encore quelque part sous cette… cette version désabusée de vous-même.”

 

Je reste bouche bée quelques secondes.

 

Elle vient de résumer ma vie en une phrase et c’est déprimant à souhait.

 

“Deux semaines” répète-t-elle. “Je veux le premier article sur mon bureau le 10 décembre.”

 

Son ton péremptoire m’indique que la conversation est terminée. Je me lève et me dirige vers la porte, la mort dans l’âme.

 

“Et… Alice ?”

 

Je me fige à quelques pas de la porte. Quelque chose me dit que tant que je n’aurai pas quitté la rédaction, une avalanche de problèmes pourra encore me tomber dessus.

 

Je tourne la tête vers Cordelia.

 

“Oui ?”

“Trouvez l’inspiration. Sortez de votre zone de confort. Faites quelque chose d’inattendu. Parce que si j’ai l’impression que vous avez pondu ce papier depuis votre canapé avec un plaid et une tasse de thé, ce sera le dernier article que vous écrirez pour ce magazine.”

 

Je hoche la tête comme un chien de tableau de bord et quitte son bureau avec l’impression d’avoir survécu à un interrogatoire de police. Sauf que je suis loin d’être tirée d’affaire.

 

Mes jambes tremblent légèrement tandis que je regagne mon bureau.

 

Deux semaines.

 

Les mots tournent en boucle dans ma tête. L’esprit de Noël. L’authenticité. L’émotion.

 

Je rallume mon ordinateur et fixe de nouveau l’écran blanc. Sauf que maintenant, le curseur qui clignote ne me nargue plus.

 

Il me menace.

 

Comment diable vais-je réussir à écrire sur l’esprit de Noël alors que la seule chose que cette fête m’inspire, c’est l’envie de partir en vacances sur une île déserte jusqu’en janvier ?

 

Mon téléphone vibre.

 

C’est encore ma meilleure amie.

 

Clara : Alors, cette soirée ? J’ai repéré un bar qui sert des cocktails à base de gin artisanal. Et accessoirement, j’ai vu des photos de ton ex James avec sa nouvelle copine sur Instagram… Tu vas avoir besoin de bitcher sur son absence totale de goût en matière de femmes.

 

Une soirée arrosée.

 

Je décide que c’est exactement ce dont j’ai besoin pour oublier que ma carrière vient de prendre un aller simple pour le précipice des journalistes déboussolés.

 

Je tape rapidement ma réponse, encore secouée par ma conversation avec Cordelia.

 

Alice : Ma cheffe vient de me menacer de me virer si j’écris pas sur l’esprit de Noël. Franchement, cette femme a un balai tellement enfoncé qu’elle pourrait faire du ménage par télépathie. On se bourre la gueule ce soir ?

 

J’appuie sur “Envoyer” et éteins mon ordinateur, déjà soulagée à l’idée de cette soirée réconfortante avec Clara.

 

Demain, je trouverai une solution. Demain, je serai inspirée, créative et pleine de ressources.

 

Mais ce soir, je vais noyer mes angoisses professionnelles dans l’alcool et les conseils vestimentaires de ma meilleure amie.

 

Mon téléphone vibre.

 

Je jette un coup d’œil en m’attendant à la réponse enthousiaste de Clara.

 

Mon sang se glace.

 

Cordelia Worthington : Dans mon bureau. MAINTENANT.

 

Merde. Merde. Merde !

 

Je regarde frénétiquement l’historique de mes messages et la vérité me frappe comme un bus londonien qui retourne au dépôt à la fin de la journée.

 

J’ai envoyé mon message à Cordelia.

 

Pas à Clara.

 

À Cordelia Worthington. Ma patronne !

 

Qu’est-ce que je disais à propos de l’avalanche de problèmes, déjà ?

 

Eh bien voilà.

 

Je viens d’insulter ma patronne par SMS.

 

Télécharge l'application et continue à lire gratuitement