Les Intrigues d'une Borgia - Webnovel - Narae

Les Intrigues d'une Borgia

Spice&Kitty - Romance Fantasy

✨ La série culte, enfin en webnovel ! Encore plus intense que le webtoon, l'original en exclusivité sur narae.Réincarnée dans un roman de fantasy, Ruby se réveille dans la peau de Rudbeckia de Borgia, fille du pape redoutée… et condamnée. … plus


15 Épisodes

Épisode 1

 

“Ma chérie, je t’ai enfin trouvé l’époux idéal.”

 

Lorsque mon père prononça ces mots, reposant la serviette avec laquelle il venait de s’essuyer la bouche, j’étais assise sur les genoux de mon frère aîné, César de Borgia, et je n’aspirais qu’à une chose : regagner ma chambre au plus vite pour rendre le contenu de mon estomac.

 

À ma gauche, Enzo, mon second frère, engloutissait avec un appétit écœurant des quenelles dont l’odeur seule me soulevait le cœur. Il laissa soudain tomber sa fourchette avec fracas, exprimant sans qu’on le lui demande son désaccord.

 

“Encore ? Mais enfin, père ! Combien de fois faudra-t-il que cela se répète ?”

“Enzo.”

“Cela ne fait même pas trois mois qu’elle a rompu ses dernières fiançailles ! Même si c’est pour une nouvelle alliance, vous pourriez au moins songer à ce qu’elle ressent !”

“Comme il est étrange de te voir soudain jouer les grands frères attentionnés. Est-ce toi qui repousseras seul ces barbares à la place des troupes de Britania ?”

“Et pourquoi pas ? Ces sauvages ne feraient pas le poids face au meilleur chevalier du Sud…”

“Assez de balivernes.”

 

Le meilleur chevalier du Sud — et pire vaurien de la région — se contenta d’engloutir le reste de ses quenelles et de mâcher bruyamment pour toute réponse. Pour ma part, une certitude s’imposait : l’inévitable venait d’arriver.

 

“De qui s’agit-il, père ?” demandai-je d'un ton faussement enjoué.

 

Mon père, qui fusillait encore Enzo du regard, se tourna vers moi avec un sourire bienveillant.

 

“L’enfant chéri de Britania. Le neveu chéri du roi, réputé comme le plus grand chevalier du Nord. Et, ma foi, fort bel homme. Il te plaira, j’en suis certain.”

“Quoi ? Père, cet homme a une réputation exécrable !”

“Pas pire que la tienne.”

 

Enzo redevint silencieux.

 

Le très beau chevalier du Nord ignorait encore qu’il anéantirait un jour toute sa belle-famille. Ah, les gendres de ce monde !

 

“Ruby ?”

 

Alors que je feignais d’hésiter, César, qui me caressait lentement les cheveux, m’appela d’une voix basse. Le frôlement de ses doigts sur le sommet de mon crâne me fit frissonner, comme si un serpent glacé s’enroulait depuis ma nuque pour remonter le long de mon échine.

 

Je levai lentement les yeux vers lui, et nos regards se croisèrent. Ses iris d’un bleu lapis-lazuli, d’un éclat glacé, semblaient sonder les tréfonds de mon âme. Je détournai bientôt le regard vers Enzo, dont les sourcils froncés exprimaient une mauvaise humeur manifeste, puis vers Lady Julia, toujours souriante, assise aux côtés de mon père.

 

“Merci, père. Je suis heureuse de pouvoir vous être utile.”

 

Le visage du pape Borgia s’illumina d’un sourire paternel, de ceux qui promettent de décrocher la lune pour leur fille chérie. César, lui aussi, esquissa un rare sourire attendri, avant de déposer un baiser sur mon front.

 

“Tu es si sage, mon petit ange.”

 

Et moi, je ne songeais qu’à m’éclipser pour aller vomir.

 

Une fois soulagée, il me faudrait songer à un plan de survie : après tout, le plus grand chevalier du Nord m’avait déjà inscrite, sans le savoir, sur la liste de ses victimes.

 

***

 

Grâce à un accident d’hélicoptère aussi brutal qu’inattendu, j’avais cru mettre un terme à ma vie misérable et enfin trouver le repos. Mais m’éveiller dans la peau d’une demoiselle tout droit sortie d’un drame historique, et, pire encore, d’un personnage d’un roman que j’avais lu jadis, relevait du cauchemar. Et pour couronner le tout, me retrouver dans un environnement étrangement semblable à celui de ma vie passée était d'une ironie bien cruelle.

 

Puisqu’il fallait renaître dans un livre, ne pouvait-on, au moins, m’accorder une famille digne de ce nom ?

 

“Urgh…”

 

Un mélange amer de bile et de larmes me monta à la gorge. J’avais beau être passée maîtresse dans l’art de vomir en secret, à l’abri des regards des domestiques, la douleur, elle, restait intacte.

 

L’un des rares points communs entre ma vie d’avant et celle-ci, c’était l’anorexie, ou ce que l’on nomme plus largement un trouble alimentaire.

 

Avant de devenir Rudbeckia, j’étais l’enfant adoptive d’une famille de l’aristocratie espagnole. Ou plutôt, leur œuvre de charité. Adoptée très jeune, je ne gardais que de vagues souvenirs de la Corée, mon pays natal. Comme tous les héritiers de bonne famille à Madrid, je fréquentais une école privée prestigieuse, à l’uniforme impeccable, et partageais mon temps entre cours de danse classique, club de tennis, équitation et soirées caritatives.

 

La première fois que je compris que j’étais différente, je devais être en CM1. Un garçon m’avait adressé un sourire narquois tout en tirant les coins de ses yeux avec ses doigts. Au début, je n’avais pas saisi la portée de ce geste. J’avais ri avec les autres enfants, convaincue que mes yeux étaient ronds, comme ceux de tout le monde. L’idée qu’il se moque de moi ne m’avait même pas effleurée.

 

Avec le temps, ces petites humiliations raciales étaient devenues supportables. Ce qui ne l’était pas, c’était ma famille adoptive. Ils affichaient un vernis parfait de respectabilité et de générosité, mais sous cette façade, tout était corrompu. Je demeurais une étrangère à leurs yeux.

 

Mon père et ma mère avaient chacun un amant attitré. Mon plus jeune frère, ancienne étoile montante du tennis, faisait régulièrement les gros titres à cause de ses excès de drogue et de sa vie de débauche. Ma sœur aînée, la seule à m’avoir témoigné un semblant d’affection, s’était suicidée à vingt et un ans. Quant à mon plus grand frère, que l’on disait normal, il n’était qu’un monstre du même acabit que mon père.

 

Jouer la fille joyeuse, obéissante, intelligente et reconnaissante était devenu pour moi une seconde nature. Je savais trop bien qu’au moindre faux pas, le plus petit geste susceptible de les embarrasser, se payait cher.

 

C’était la même chose ici.

 

Au début, j’avais cru vivre une sorte de court rêve éveillé, juste avant la mort ; autrement, comment expliquer que le reflet dans le miroir soit celui d’une belle jeune fille blonde, à la peau pâle comme la porcelaine ?

 

Il me fallut quelques jours pour comprendre que j’étais devenue Rudbeckia de Borgia — un personnage de Sodome et le Saint Graal, un roman de fantasy historique que j’avais découvert sur un site de littérature en ligne lorsque j'étais adolescente.

 

L’histoire se déroulait dans un univers inspiré de la Renaissance, peuplé de figures historiques réinventées. Elle relatait, en substance, comment plusieurs familles nobles — menées par le Nord — et quelques prêtres vertueux s’étaient ligués pour renverser un pape corrompu ainsi que toute sa lignée : les Borgia.

 

Dans ce monde, Sodome désignait l’état de décadence de Romana, et le Saint Graal la relique la plus sacrée, véritable cœur du Saint-Siège. Et moi, j’étais la fille du pape. Autrement dit, condamnée à mort. Par la main même de mon futur mari.

 

Sous l’impulsion de son père et de son frère aîné, Rudbeckia avait servi de pion politique, enchaînant fiançailles rompues et mariages annulés. Après trois ruptures et une union brisée, elle avait fini par épouser Iske van Omerta, du royaume de Britania.

 

Chevalier d’exception mais ascète rigoureux, Iske mit brutalement fin à leur mariage au bout de six mois, avant d’entreprendre, dans une folie meurtrière, de massacrer toute la famille de son épouse. La cause de ce massacre ? Rudbeckia elle-même. Non pas parce qu’elle l’avait rendu fou d’amour, mais fou de rage, en empoisonnant sa sœur cadette.

 

César n’avait pas prévu qu’Iske perdrait à ce point tout contrôle. À mes yeux, plus que la rage causée par la mort de sa sœur, c’était l’humiliation infligée par une épouse traîtresse qui le poussait à vouloir la tuer de ses propres mains.

 

Quoi qu’il en soit, Rudbeckia avait agi sur ordre de César. Et, d’après mes souvenirs du roman, elle n’avait rien d’une sainte. Déjà réputée espionne du pape et débauchée notoire, elle ignorait délibérément les usages du Nord et traitait les dames de son entourage comme de simples domestiques. Y compris la sœur cadette et l’amie d’enfance de son mari, que celui-ci chérissait plus que tout.

 

Trois années passées dans sa peau m’avaient permis de comprendre comment elle avait pu devenir ce monstre-là. La princesse adorée de Romana. L’alouette de Sistina. Tout cela n’était qu’une mise en scène savamment orchestrée. Comme dans ma vie d’avant.

 

“Ruby ?”

 

Un coup frappé à la porte me fit sursauter. Je jetai à la hâte un sac de bonbons à la menthe dans un tiroir et me redressai. Comme toujours, la porte s’ouvrit avant même que je n’aie répondu.

 

“César.”

 

César — ou plutôt Son Éminence le cardinal Valentino — portait encore la soutane noire qu’il avait au dîner. Avec ses cheveux sombres, ses yeux couleur de lapis-lazuli et ses traits d’une régularité presque irréelle, il possédait une beauté diabolique. À mes yeux, pourtant, il n’était rien d’autre qu’un monstre. Ma seule consolation était que nous ne partagions pas la moindre ressemblance.

 

“Tout à l’heure, tu n’avais pas l’air bien. J’étais inquiet.”

 

Quelle sollicitude.

 

“Ah, tu me connais vraiment trop bien.”

“Ce mariage ne te plaît pas ? Tu peux me le dire franchement.”

 

Il avançait vers moi avec la souplesse d’une panthère noire, lorsqu’il s’interrompit soudain. Son regard se posa sur la petite tortue sculptée, posée bien en évidence sur la table d’appoint. Elle semblait lui plaire ainsi disposée. Il ignorait — et il valait mieux pour moi — à quel point je haïssais ces créatures.

 

“Ce n’est pas vraiment cela… Je ne sais pas. Le Nord me semble si lointain. Là-bas, je ne pourrai plus te voir souvent, et je me sentirai seule.”

 

“Pourquoi seule ? Tu auras ton mari.”

“Et alors ? Si je le pouvais, j’épouserais le Seigneur comme toi, juste pour rester toute ma vie à tes côtés.”

 

“Voilà qui flatte mon orgueil. La plus belle femme de Romana ne jure que par moi.”

 

Il s’approcha de la coiffeuse, posa la main sur ma tête et afficha un sourire satisfait. Manifestement, c’était la réponse qu’il attendait. Ses doigts glissèrent jusqu’à ma joue, avec une douceur presque tendre. Je fermai les yeux comme un chaton docile, tout en sachant qu’à tout instant, cette main pouvait se faire brutale.

 

Cela faisait longtemps qu’il ne m’avait pas frappée, mais je savais parfaitement que le moindre faux pas suffirait à briser cette fragile illusion de sécurité.

 

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