Estelle Every - New Adult
Ivywood, campus d’élite où s’entrechoquent secrets et ambitions. Scarlett y débute une nouvelle vie, bien décidée à briller. Mais son monde vacille quand elle recroise Keith, le garçon qu’elle a autrefois aimé… et perdu. Marqué par un passé douloureux, devenu … more
Les langues orangées s’étirent sur la moquette, lèchent les pieds de mon lit, s’enroulent autour des tentures qui encadrent ma fenêtre. La lueur des flammes se reflète dans les vitres, projetant une lumière rouge menaçante sur mon propre reflet. Mon cerveau me hurle de m’enfuir, mais je reste figée, mon corps refusant de m’obéir alors que la chaleur devient insupportable. La fumée s’épaissit, transformant peu à peu l’air en un poison qui envahit mes poumons.
Je tousse, tente d’inspirer, mais cela ne fait qu’aggraver ma toux. La douleur dans ma poitrine s’intensifie, ma gorge pique et les larmes roulent sur mes joues.
Qu’est-ce que j’ai fait ?
La porte de la salle de bains est ouverte, mais il n’y a aucune issue de ce côté.
Mes poumons brûlent maintenant. Les flammes grimpent le long des murs, dévorant les photos de famille comme des bêtes affamées.
Soudain, la porte de la chambre s’ouvre à la volée. Une silhouette se dessine dans le couloir enfumé.
“Scarlett ! Sors de là !”
Cette voix. Je la reconnais, mais je ne peux pas mettre un nom dessus. La silhouette s’approche, tendant le bras dans ma direction.
“Scarlett, prends ma main !”
Alors que nos doigts sont sur le point de se toucher, un craquement assourdissant retentit au-dessus de nos têtes.
Un corps se place entre le danger et moi, mais la douleur est brutale. Ma jambe…
“Il faut sortir maintenant !”
Encore cette voix masculine familière.
“Scarlett !”
Je me réveille en sursaut, le cœur battant à tout rompre. Mes paupières battent frénétiquement comme pour chasser la fumée, mais il n’y a rien.
La bibliothèque. Je suis à la bibliothèque de l’université d’Ivywood, pas dans une maison en flammes. Ma respiration est erratique, mon tee-shirt légèrement humide de transpiration. Je cligne plusieurs fois des yeux, m’ancrant dans la réalité : les rayonnages immaculés, l’odeur de papier et de café, le silence feutré ponctué de chuchotements.
Ce rêve, encore. Pourquoi maintenant ?
Je passe une main tremblante dans mes cheveux et tente de me ressaisir. Mon manuel de sociologie est ouvert à la même page depuis une heure. J’ai à peine pris quelques notes. Une semaine seulement à Ivywood et je m’endors déjà en pleine séance d’étude.
Brillant, vraiment.
“Excuse-moi. Tout va bien ?”
Je relève la tête. Une fille se tient devant ma table. Grande, mince, les cheveux châtains parfaitement coiffés en un carré lisse, les vêtements semblant tout droit sortis d’un magazine – simple chemisier blanc et jupe crayon, mais le genre qui crie “argent” sans avoir besoin de logo.
Ses yeux me détaillent avec une curiosité calculée.
Elle me dévisage et je comprends qu’elle attend une réponse.
“Tout va bien, merci.”
“Tu es nouvelle ici, n’est-ce pas ?”
Sa voix est douce mais assurée.
“Oui” je réponds en tentant de paraître plus réveillée que je ne le suis. “Premier semestre.”
Je ne sais pas pourquoi je me sens obligée de le lui préciser.
Un sourire se dessine sur son visage – pas tout à fait chaleureux, mais pas complètement froid non plus. Calculé, comme tout chez elle.
“Victoria Stern” dit-elle en me tendant une main parfaitement manucurée. “Troisième année, responsable du comité d’intégration.”
Victoria Stern. Même moi, qui viens d’arriver, j’ai déjà entendu ce nom. Je serre sa main, consciente que ma poigne doit trahir ma nervosité.
“Scarlett Ambrose” je me présente, ajustant instinctivement ma posture. “Première année en sciences sociales.”
Son regard s’attarde sur mon visage, comme si elle cherchait quelque chose. Je résiste à l’envie de vérifier si j’ai de l’encre sur le nez ou des traces de bave post-sieste.
“Ambrose… Ce nom me dit quelque chose” murmure-t-elle, pensive. Puis, se reprenant : “J’organise une petite réunion informelle vendredi soir. Des étudiants triés sur le volet. Tu devrais venir.”
Ce n’est pas vraiment une invitation, plutôt une injonction déguisée. Avant que je puisse répondre, elle glisse une carte élégante sur ma table.
“Dix-neuf heures. Ne sois pas en retard.”
Elle s’éloigne dans un nuage subtil de parfum coûteux, me laissant légèrement étourdie par cette rencontre.
“Est-ce que c’était Victoria Stern qui te parlait ?”
Riley, ma colocataire, se matérialise à côté de moi, deux gobelets de café à la main. Ses yeux écarquillés fixent la silhouette de Victoria qui s’éloigne entre les rayonnages.
“Apparemment. Merci, tu me sauves” je réponds en prenant le café qu’elle me tend. “Elle m’a invitée à une soirée.”
Riley manque de renverser son propre café. Ses boucles rousses rebondissent quand elle s’assied précipitamment en face de moi.
“Tu plaisantes ? Victoria Stern ne parle pas aux premières années. Elle ne remarque même pas leur existence tant qu’ils ne font pas officiellement partie de son groupe.”
Je hausse les épaules, incapable d’expliquer pourquoi la reine du campus s’intéresserait à moi.
“Elle a dit que mon nom lui disait quelque chose” je marmonne.
Riley se penche en avant, baissant la voix comme pour partager un secret d’État.
“Les Stern et les Ambrose se connaissent peut-être ? Ça expliquerait tout. Les Héritiers fonctionnent comme ça – connexions familiales, réseaux d’influence, ce genre de choses.”
“Les Héritiers ?”
Riley lève les yeux au ciel, comme si j’avais demandé qui était le président.
“Le groupe le plus exclusif du campus. Tous riches, tous beaux, tous destinés à diriger le monde un jour. Victoria en est la reine incontestée depuis que l’ancienne présidente a obtenu son diplôme. Leur première soirée est ouverte à tous parce que c’est là qu’ils sélectionnent les élus.”
Je fais tourner la carte entre mes doigts. Papier épais, lettrage en relief. Une adresse, une heure et un petit symbole dans le coin – une clé stylisée.
“En résumé, quand Victoria Stern t’invite quelque part” continue Riley, “tu y vas. C’est comme… être adoubée.”
Je repense à la présence autoritaire de Victoria, à son assurance tranquille. Une partie de moi – celle qui a passé l’été à stresser sur comment s’intégrer dans cette université d’élite – est flattée. Une autre partie – celle qui se réveille encore en sueur après des cauchemars d’incendie – se méfie instinctivement.
Mon regard suit Victoria qui s’est arrêtée près d’une table éloignée. Elle parle à quelqu’un, un homme dont je ne vois que le dos. Grand, épaules larges, posture nonchalante mais tendue. Quelque chose dans sa façon de se tenir, légèrement penché sur le côté, éveille en moi un écho lointain.
Un flash de mon rêve me traverse – la silhouette dans les flammes, tendant la main vers moi.
C’est ridicule. Je ne peux pas le voir clairement d’ici.
Pourtant, un frisson me parcourt l’échine. L’étudiant se lève, rassemblant ses affaires. Même de loin, je sens la froideur de leur échange. Victoria semble contrariée. Je perçois un micro-changement dans sa posture parfaite, une tension dans son sourire. Le garçon hoche brièvement la tête et s’éloigne vers la sortie.
Je n’arrive pas à voir son visage.
“La Terre à Scarlett ?”
Riley agite sa main devant mes yeux.
“Tu as complètement décroché. C’est l’effet Victoria Stern, je suppose.”
Je secoue la tête, détachant mon regard de la porte par laquelle l’inconnu a disparu.
“Désolée. Je suis encore un peu dans le brouillard. Je me suis endormie sur mes notes.”
“Encore ces cauchemars ?” demande ma colocataire avec une inquiétude sincère.
J’ai mentionné mes mauvaises nuits à Riley le lendemain de notre emménagement, quand elle m’a trouvée à trois heures du matin, tremblante dans notre minuscule cuisine commune. Je n’ai pas précisé qu’il s’agissait toujours du même genre de cauchemar, ni ce qu’il contenait.
“Ça va” je réponds avec un sourire forcé. “C’est juste le stress de la rentrée et le décalage horaire.”
Riley n’insiste pas, mais son regard reste préoccupé. Elle change de sujet.
“Alors, cette soirée… Tu vas y aller ?”
Je regarde à nouveau la carte, puis dans la direction où Victoria discute maintenant avec deux autres étudiantes à l’allure tout aussi soignée qu’elle.
La voix de ma mère résonne dans ma tête : “C’est ton avenir qui se joue ici, Scarlett. Tu ne dois pas laisser passer ta chance. Garde en tête que les relations que tu vas nouer à Ivywood sont aussi importantes que tes notes. Plus importantes, même, pour t’ouvrir certaines portes.”
Un sourire amer étire mes lèvres, mais je le masque en prenant une gorgée de café.
Je croise le regard de Riley.
“J’imagine que oui” je réponds finalement.
“Super ! On pourra se préparer ensemble” s’enthousiasme-t-elle. “J’ai prévu une robe pour l’occasion. Les soirées des Héritiers sont légendaires, mais passée la première de l’année, personne ne sait vraiment ce qui se passe dans les suivantes.”
Son excitation est contagieuse, et je me surprends à sourire sincèrement. Peut-être que c’est exactement ce dont j’ai besoin – m’intégrer, me faire de nouveaux amis, laisser le passé derrière moi. N’est-ce pas pour ça que j’ai choisi Ivywood, à des centaines de kilomètres de chez moi ?
Une nouvelle vie. Un nouveau départ.
Pourtant, alors que Riley me détaille ce qu’elle sait des Héritiers, mes pensées dérivent vers le mystérieux étudiant. Quelque chose dans sa silhouette a réveillé un souvenir que je n’arrive pas à saisir pleinement. Comme un mot qu’on aurait sur le bout de la langue.
Je range mes affaires, étouffant la voix dans ma tête qui me dit que je me mens à moi-même. Je sais très bien pourquoi ce garçon m’a semblé familier. C’est la même raison pour laquelle j’ai choisi spécifiquement Ivywood – malgré les protestations de ma mère qui aurait préféré me voir dans une université plus proche de chez nous et surtout plus prestigieuse.
J’avais besoin de savoir s’il était vraiment là.
En quittant la bibliothèque avec Riley, qui parle toujours de la soirée à venir, je ne peux m’empêcher de chercher une silhouette particulière parmi les étudiants que je croise sur le campus. Je me dis que c’est idiot, que les chances sont infimes.
Après tout, sept ans ont passé. Il a probablement changé autant que moi. Peut-être qu’il ne me reconnaîtrait même pas. Ou pire, peut-être qu’il me reconnaîtrait parfaitement.
Je frissonne malgré la chaleur de septembre.
Est-ce que c’était toi ?
Je garde cette pensée pour moi, comme j’ai gardé tant d’autres choses. Si c’est bien lui, s’il fréquente Ivywood en même temps que moi, alors mon nouveau départ vient de se compliquer considérablement.
Car on ne peut pas vraiment fuir un incendie dont on alimente soi-même les flammes.